Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

Plus que jamais, l’Organisation des Nations unies (ONU) a mauvaise presse. L’ONU est notamment blâmée tant pour sa passivité face à la violence qui ravage l’Ukraine, Gaza et Haïti que pour son manque de leadership face à la crise des changements climatiques.

Les critiques de l’ONU émanent surtout de la droite, mais celles de la gauche sont de plus en plus nombreuses. Toute cette contestation témoigne d’une frustration grandissante à l’égard du travail de l’organisation mondiale.

Il n’est pas très difficile d’imaginer une ONU plus efficace et plus démocratique. Cela dit, il ne faut quand même pas oublier que l’ONU est un regroupement de 193 États attachés à leur souveraineté, et que le budget habituel de 5 milliards dont elle dispose est inférieur à celui de la Ville de Montréal qui, lui, frise les 7 milliards. Pour changer les choses, il faut d’abord prendre acte de cet état de fait.

Depuis sa création, il est en tout cas remarquable qu’aucun pays n’ait définitivement quitté l’ONU. Tous les gouvernements de la planète estiment que les avantages d’en être membre surpassent les inconvénients. Il faut aussi souligner que la majorité des citoyens du monde maintient une opinion favorable envers l’ONU.

Il reste qu’au vu du désordre international actuel, la question se pose de plus en plus : à quoi sert donc l’ONU ?

Pour répondre à cette question, on doit tenir compte du rôle très différent qu’y jouent les États membres et la fonction publique internationale. Dans les relations complexes entre ces deux branches de l’organisation, les États ont toujours le dernier mot. Fort heureusement, le personnel onusien détient tout de même un important droit de parole.

La contribution de l’ONU à la politique mondiale peut se résumer en trois images. L’institution sert à la fois de miroir, de laboratoire et de boussole.

Un miroir des réalités mondiales

L’ONU est un miroir dans le sens où elle reflète l’état des rapports de force internationaux. Quoi qu’on pense de leur vacuité, les votes du Conseil de sécurité sur l’Ukraine et sur Gaza donnent l’heure juste sur le climat politique mondial. Ainsi, l’ONU expose au grand jour les liens toxiques entre les États-Unis et Israël, la complicité autoritaire entre la Chine et la Russie, les difficiles jeux d’équilibre des pays du Sud global tout autant que la perte d’influence du Canada sur la scène internationale. En tant que miroir, l’ONU reflète aussi notre rapport au sort des gens d’ailleurs. Le manque chronique de ressources des agences d’aide onusiennes en dit long sur notre capacité collective à agir comme des nations qui sont vraiment unies. En somme, l’ONU nous met en face du monde tel qu’il est.

Un laboratoire d’expérimentations

L’ONU est aussi un laboratoire qui offre un espace de discussion où la communauté internationale peut mettre de l’avant de nouvelles idées et de nouveaux projets politiques. Comme dans un vrai laboratoire, les expériences onusiennes ne sont pas toujours couronnées de succès. Mais très souvent, ce que l’ONU essaie de faire ne pourrait pas être entrepris ailleurs. Malgré tous leurs défauts, l’Accord de Paris sur le climat ou les Objectifs de développement durable n’auraient pas pu voir le jour sans l’action de l’ONU. Plus récemment, l’Assemblée générale a adopté une première résolution sur l’intelligence artificielle dans le but d’encadrer cette technologie avec des normes internationales. On serait bien en peine d’identifier un forum doté de davantage de légitimité pour amorcer une conversation mondiale sur le sujet.

Une boussole morale

Enfin, grâce à l’action de son personnel, l’ONU joue aussi un rôle de boussole morale à l’échelle planétaire. Par l’entremise de ses différentes composantes comme le Secrétariat, la Cour internationale de justice ou l’Organisation mondiale de la santé, l’ONU promeut une vision du bien commun qui aide à s’orienter dans les débats internationaux. Par exemple, sur la guerre en Ukraine, l’actuel secrétaire général António Guterres a maintes fois répété que l’invasion de la Russie était illégale. Sur le conflit à Gaza, il a laissé entendre qu’Israël n’était pas du bon côté de l’Histoire. Et sur la crise climatique, il a qualifié le comportement des grands émetteurs de gaz à effet de serre de pitoyable. Ces prises de position n’ont évidemment pas fait l’affaire de tous. Mais au travers de la cacophonie des relations internationales, la voix de l’ONU est celle qui parvient le mieux à s’élever au-dessus de la mêlée. Aucun gouvernement et aucune organisation, publique ou privée, ne saurait aspirer à exercer un tel rôle de porte-parole pour l’humanité.

La mission de l’ONU n’est pas de nous mener au ciel, mais plutôt de nous éviter d’aller en enfer, selon les mots du deuxième secrétaire général de l’organisation, le Suédois Dag Hammarskjöld.

Si cette réflexion peut sembler manquer d’ambition, elle est surtout empreinte d’une grande lucidité. L’ONU est essentiellement ce que les États en font. Et en général, les États sont davantage mus par la logique des intérêts à court terme de la politique que par les lois d’un soi-disant « gros bon sens ».

Il a souvent été dit que si l’ONU n’existait pas, il faudrait l’inventer. Or, il faut bien constater aujourd’hui que, comme le monde autour d’elle, l’ONU va mal. L’heure est sans doute venue de se demander comment la réinventer.

*Les auteurs viennent de publier Comment s’élabore une politique mondiale. Dans les coulisses de l’ONU, Presses de Sciences Po.

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