Dernièrement, La Presse a publié un article1 sur la fréquence accrue à laquelle des ententes de principe recommandées par des syndicats sont rejetées par leurs membres, à la surprise des parties patronale et syndicale.

Le rejet, en avril, de l’entente présentée par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) à ses membres constitue un exemple parmi d’autres de ce phénomène. Selon des experts étudiant cette tendance, les travailleurs ont des attentes élevées envers leurs conditions de travail et ils s’attendent à ce que leurs employeurs y répondent. Même lorsque ces ententes sont jugées avantageuses par les parties patronale et syndicale, les travailleurs peuvent avoir une lecture très différente de leurs impacts sur leur qualité de vie professionnelle et personnelle.

En ce qui concerne les membres infirmiers de la FIQ, ce rejet ne surprend pas.

Ces dernières années, les infirmières ont pris la mesure de leur valeur sociale, économique et politique, de leur contribution indispensable au système de santé, et de l’importance capitale d’une vie professionnelle et personnelle équilibrée, sans laquelle une carrière en soins infirmiers est intenable.

Les attentes du personnel infirmier envers le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et les syndicats ont considérablement augmenté. Les ignorer met en péril les soins eux-mêmes.

Suivant les centaines de mobilisations, revendications et dénonciations des infirmières des deux dernières décennies, seul un aveuglement exceptionnel permet d’ignorer que leurs préoccupations premières demeurent : des conditions de soins sécuritaires ; le respect du personnel quant à son expertise professionnelle, son temps et sa capacité à entretenir une vie saine à l’extérieur du travail ; et des augmentations salariales cohérentes avec les rattrapages salariaux qui tardent, l’inflation et l’augmentation implacable du coût de la vie.

Des exigences de flexibilité élevées

Or, le MSSS ne semble pas déroger à sa position, demandant toujours plus des infirmières, tout dernièrement illustrée par des exigences de flexibilité qu’aucun autre travailleur, pas même les dirigeants du MSSS eux-mêmes, n’accepteraient. Les perturbations importantes de la vie familiale engendrées par des déploiements dans des centres dans un rayon de 25 à 35 km de « ports d’attache » sont pourtant claires. Les infirmières pourraient théoriquement refuser des déplacements, mais seulement dans des circonstances très restreintes, ce qui rend cette capacité de refus largement symbolique.

Pour les infirmières, cela rappelle donc la quasi-impossibilité de refuser le «  temps supplémentaire obligatoire » qu’elles peuvent aussi théoriquement décliner, par exemple, pour excès de fatigue empêchant des soins sécuritaires.

Autre écueil : la tendance obstinée à vouloir déplacer les infirmières dans différents centres comme des pions génériques, alors que les soins exigent de plus en plus de spécialisation. Déjà en vigueur dans certains milieux, cela ignore les études indiquant, sans exception, que les déplacements sans égard au niveau d’expertise, de compétence et de confort du personnel entraînent des risques importants pour les patients et pour les infirmières elles-mêmes. Et bien entendu, le personnel infirmier a encore en mémoire les abus et ratés liés à la gestion de la pandémie, discrètement balayés sous le tapis depuis deux ans.

Des ragots circulent présentant les infirmières comme des travailleuses avares touchant ordinairement des salaires dépassant 100 000 $ (une perception foncièrement erronée), ou principalement motivées par des préoccupations futiles comme les privilèges de stationnement dans des centres où elles seraient déployées. Parallèlement, celles œuvrant comme main-d’œuvre indépendante servent régulièrement de boucs émissaires pour décrier l’augmentation des coûts en santé, alors que l’existence de ces infirmières est un produit, non pas une cause, des coûts et des échecs de gouvernance. On se rappellera d’ailleurs que les rangs de cette main-d’œuvre ont considérablement grossi pendant et depuis la pandémie, symptôme de la perte de confiance croissante des infirmières envers le MSSS et, dans certains cas, leurs syndicats.

Comme d’autres travailleurs, les infirmières n’acceptent plus d’ententes ne répondant pas à leurs attentes. Les avalanches de témoignages des dernières années indiquent qu’elles ne demandent pas mieux que de travailler et de soigner la population, mais il n’est plus question de le faire « à tout prix » pour satisfaire des exigences inédites. Sécurité des soins et qualité de vie au travail ne sont pas antinomiques : elles vont de pair, et seule une entente tenant adéquatement compte de cela permettra de débloquer l’impasse des négociations.

Cosignataires : Camille Boudreau, infirmière clinicienne ; Natalie Stake-Doucet, professeure adjointe, Université de Montréal ; Pierre Pariseau-Legault, professeur agrégé, Université du Québec en Outaouais ; Patrick Martin, professeur agrégé, Université Laval

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