En janvier dernier, j’ai vécu une fausse couche après cinq semaines de grossesse. J’ai découvert avec effroi la banalisation du système de santé pour cette condition, ce qui m’a donné l’impression non seulement que cela n’avait pas d’importance, mais aussi que je n’avais pas ma place aux urgences. L’enchaînement des évènements aura montré que cette invalidation traumatisante de ma souffrance aurait pu me coûter la vie.

Je me suis présentée aux urgences un lundi soir vers 18 h, sur recommandation d’Info-Santé. Ayant déjà vécu une grossesse à terme pour laquelle j’ai obtenu un suivi médical de qualité, j’ai cru que j’aurais droit à une prise en charge équivalente. La comparaison entre les deux traitements a été d’autant plus cruelle, m’envoyant le message que je ne méritais pas d’être prise en charge.

Avant 12 semaines de grossesse, le personnel médical fait peu de cas d’une fausse couche. Une grossesse sur six se termine par une fausse couche, dont la majorité a lieu durant les 12 premières semaines de grossesse⁠1. Autrement dit, la fausse couche est un phénomène extrêmement commun chez les femmes, mais jamais un évènement banal, peu importe le nombre de semaines.

Malgré la grande détresse émotionnelle dans laquelle j’étais, aucune mesure particulière n’a été mise en place pour m’accompagner.

Vers 2 h 30 du matin, après huit heures et demie d’attente seule à pleurer, sur une chaise inconfortable dans une salle dont l’éclairage empêche de fermer les yeux pour somnoler, et à faire des allers-retours aux toilettes pour changer les serviettes hygiéniques imbibées de sang, j’ai finalement vu un médecin. « C’est bien une fausse couche, il n’y a rien à faire. »

Aucune intervention médicale n’aurait pu arrêter ma fausse couche, mais le fait qu’on ne puisse pas l’empêcher ne signifie pas qu’un accompagnement spécialisé n’est pas nécessaire. Seule dans la salle d’attente, je me répétais : on me traite ainsi parce que j’ai « échoué » à franchir les 12 semaines nécessaires à un traitement humain.

Une promesse dangereuse

Cette banalisation de la souffrance des femmes n’est pas sans conséquence. Je me suis juré que je ne retournerais jamais aux urgences dans une situation similaire. C’est cette promesse qui a failli me coûter la vie.

En mars dernier, après quatre jours de douleurs inouïes au bas-ventre, j’ai finalement dû retourner aux urgences, à contrecœur. Le matin même, j’ai douté. « Et si on ne me croit pas ? », écrivais-je à mes amies. Je pensais alors vivre des douleurs « normales » d’ovulation, dont les tests étaient étrangement positifs depuis trop longtemps. Les tests de grossesse, eux, étaient négatifs. J’y suis finalement allée.

En arrivant, j’ai indiqué que les douleurs venaient de mon système reproductif. L’infirmier du triage a rapidement écarté ce que je lui disais, m’indiquant qu’il s’agissait probablement de pierres aux reins, me donnant par le fait même une priorité en raison de cette douleur qu’il avait visiblement déjà connue. L’urgentologue a également écarté mes impressions, croyant plutôt à une crise d’appendicite.

Cinq heures après mon arrivée aux urgences, ma trompe de Fallope explosait, causant une douleur tellement forte que j’en ai perdu conscience, ainsi que le début d’une hémorragie interne.

Il s’agissait en fait d’une grossesse extra-utérine, soit une grossesse durant laquelle l’embryon se développe à l’extérieur de l’utérus. Je n’ose pas penser à ce qui se serait passé si je n’étais pas allée à l’hôpital avant le début de l’hémorragie.

On peut se demander si un suivi plus adéquat de ma première fausse couche n’aurait pas pu prévenir cette possible complication, qui m’aura coûté une de mes trompes. Et même s’il s’agissait d’une nouvelle grossesse, comment me suis-je rendue au point où, tellement traumatisée par mon expérience de fausse couche déshumanisante, j’ai choisi d’ignorer ces signaux alarmants qui auraient dû me conduire aux urgences bien avant le point de rupture ?

Mon histoire vient s’ajouter à celles de milliers de femmes dont la prise en charge d’une fausse couche a été traumatisante et déshumanisante⁠2. Certains hôpitaux ont mis en place un protocole pour les saignements avant 12 semaines qui vise entre autres une prise en charge plus humaine de cette situation si fréquente⁠3. Étendre ce protocole à tous les hôpitaux serait déjà un pas dans la bonne direction. Quoi qu’il en soit, il faut en finir avec cette banalisation de la souffrance des femmes, qui nous incite à croire qu’elle ne vaut pas une prise en charge ou un déplacement aux urgences.

1. Consultez la page « Fausse couche et deuil » sur le site web de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) 2. Consultez l’étude « Miscarriage Matters : The Epidemiological, Physical, Psychological, and Economic Costs of Early Pregnancy Loss » (en anglais) 3. Lisez l’entrée « La fausse couche » sur le site web Naître et grandir Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue