La vie trouve le tour de nous ramener à nous-mêmes, de nous démontrer que l’on change peu bien que, par moments, on s’oublie à être autre.

Je me suis remémoré récemment un poème que j’ai écrit dans un cours de français en cinquième secondaire et j’ai réalisé à quel point il a modulé une bonne partie de ma vie, ou du moins, il annonçait des choses que j’ignorais.

Un petit garçon
Dans son coin renfrogné
Gèle comme un glaçon
À cause de l’humidité
Ses genoux à son menton
Il ne fait que grelotter
Et dans ses yeux profonds
S’inscrit le mot pitié. C’est un homme de couleur
On voulait l’oublier
Dans son ADN s’inscrit la douleur
Que l’on ne veut ou peut soulager
Il en va de nos valeurs
De savoir ou pas intégrer
Pour contrer le malheur
Par empathie initiée

En pleine adolescence, je ne pense pas que je comprenais la portée des mots que je faisais rimer. Quarante ans plus tard, je retourne vers mes agissements, ayant fondé une clinique pour des patients adultes souffrant de la maladie falciforme, une condition génétique causant des anomalies du sang touchant presque exclusivement des afrodescendants, entraînant des crises de douleur et affectant plusieurs organes et qui, ultimement, réduit l’espérance de vie.

Cette clinique a maintenant 25 ans et a malheureusement vu certains patients mourir, mais a aussi vu survivre une grande majorité, plus de 600, alors qu’ils se dirigeaient vers un destin plus sombre. Il appert cependant que plusieurs subissent au quotidien les aléas de séquelles plus ou moins sévères que même des soins attentionnés ne pouvaient prévenir.

Plusieurs autres conditions touchent aussi diverses communautés, mais, à ma connaissance, aucune n’a une spécificité aussi grande que la maladie falciforme quant à son association à la race. La race n’a rien à faire avec la cause de la maladie, c’est une simple association de variation de gènes, un effet du hasard.

Une association unit aussi maintenant les patients (l’Association de l’anémie falciforme du Québec), dirigée par une personne remarquable qui a perdu un enfant aux mains de cette maladie, capable de militer pour des soins que le système de santé a trop longtemps niés à ces patients, diffusant un message d’inclusion qui dépasse la couleur de la peau et demande de reconnaître une maladie qui est maintenant tout aussi québécoise que la fibrose kystique.

Mais malgré tous les discours des décideurs sur l’intégration des immigrants et sur l’apport de leur descendance sur les plans culturel et économique principalement, on a vu bien peu de gestes pour confirmer ces dires, pour adapter le système de santé et diriger des sommes d’argent en recherche vers de nouvelles réalités québécoises et canadiennes. L’ignorance, ou l’absence de désir de s’adapter, c’est en essence ce que je qualifie de racisme systémique.

La maladie falciforme est un ensemble de conditions, dont les manifestations diffèrent d’un patient à l’autre, parfois touchant les os, les poumons, le cerveau, les reins, etc. Mais malgré la panoplie des conditions, les options de traitement demeurent limitées, peu développées, en conséquence de fonds de recherche insuffisants et d’initiatives limitées de l’industrie pharmaceutique au cours des années.

Par contre, cela peut changer. Cette maladie venant d’un gène altéré peut être partiellement renversée par une thérapie génique, suscitant espoir et désir que ces traitements soient offerts à une majorité, bientôt, malgré les importantes infrastructures nécessaires pour les appliquer.

Après 25 ans de soins à ces patients, je peux affirmer que quiconque assisterait une seule fois à une manifestation de la maladie ne souhaiterait que soulager ce que leur ADN leur inflige comme douleur et morbidité.

« Toute douleur qui n’aide personne est absurde. » André Malraux, autodidacte, résistant, homme politique français, mais aussi écrivain qui nous a donné La condition humaine, résume bien qu’une douleur que la nature cause sans raison doit invariablement nous porter à soulager, voire guérir.

La maladie falciforme est la quintessence d’une condition humaine qui doit susciter les actions intégrées de la société, de ses dirigeants, des chercheurs, des soignants, dans le but d’offrir mieux.

L’appellation « racisme systémique » a été et demeure considérée par plusieurs comme une accusation. Je ne crois pas que ce soit le cas. C’est un constat qui doit susciter une question : que fait-on à ce sujet ? Le principe de Joyce a été énoncé dans un contexte politique. Il appartient à tous de le rendre vivant, de rallier les gens à la nécessité d’oublier l’origine de chacun, de devenir aveugles non pas à la personne, mais aux gènes qui lui ont donné un aspect différent du leur.

C’est ainsi que se conçoit la sécurisation culturelle : donner à chacun une valeur égale, lui permettre de se qualifier de citoyen, de demander un droit à une vie en santé si les moyens humains permettent de l’offrir.

Dans La condition humaine, on comprend le désir des uns d’en imposer aux autres, par croyance de connaître le bien, de pouvoir et devoir s’imposer, pour LEUR bien. Comme on a évolué, et comme on évoluera encore, en faisant des différences une raison de se dépasser en offrant plus, en créant des conditions pour vivre « comme les autres », que l’on souffre de la maladie falciforme ou d’une autre maladie que le Québec et le Canada ne connaissaient pas il y a 30 ans. Et pour qu’en toute circonstance, on cesse de voir de petits garçons dans leur coin renfrognés.

Il y a environ 50 ans, le racisme s’exprimait on ne peut plus vertement dans la chanson Strange Fruit. La société a bien évolué depuis, mais le fruit n’est pas encore mûr au point d’être récolté en ce qui a trait à la tolérance et à l’accueil de la diversité.

Pourtant, nous avons les moyens de le faire, socialement, médicalement et individuellement. La maladie falciforme est un domaine dans lequel le fruit ne demande qu’à mûrir avec l’effort de chacun pour accepter cette maladie comme « nôtre ». À l’heure où on annonce des milliards avant le budget, ces patients aimeraient bien quelques rares deniers pour que la recherche sur la maladie falciforme devienne un objectif canadien.

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