L’auteur réplique à la lettre d’opinion « Le festival Juste pour rire… et après ? », publiée le 7 mars dernier

Permettez-moi de sortir de ma retraite pour rectifier les erreurs factuelles contenues dans la lettre d’opinion publiée jeudi par le titulaire de la Chaire de gestion des arts de HEC. Étonnamment, ce dernier semble mal informé sur la structure de financement des festivals et des émissions de télévision canadiennes, ce qui l’amène à porter des jugements qui remettent en question la pertinence des grands événements gratuits qui font la réputation de Montréal. Je reprends ici des passages de cette lettre que je souhaite rectifier.

« La structure de Juste pour rire, du Festival international de jazz de Montréal et des Francos est la même […] Les profits sont gardés dans l’entreprise à but lucratif et les dépenses sont affectées à l’OBNL. »

C’est absolument faux. Sur quelle légende urbaine se base-t-il pour affirmer cela ? Désolé, monsieur Colbert, les organismes subventionneurs ont accès aux bilans vérifiés des festivals sans but lucratif, comme de ceux de leurs compagnies apparentées, et sont très stricts sur leurs potentiels conflits d’intérêts. Ils subventionnent une partie de leurs dépenses de développement touristique et culturel, d’infrastructures et de sécurité publique.

« L’entreprise à but lucratif récupère tout ce qui fait de l’argent (captation de télévision, vente de boisson sur le site, etc.). »

Tout d’abord, comment un économiste peut-il ignorer qu’un OBNL ne peut pas produire lui-même de télévision au Canada, puisque la production télévisuelle se finance en majeure partie par les crédits d’impôt provinciaux et fédéraux qui ne sont pas accessibles aux OBNL puisqu’ils ne paient pas d’impôt ?

D’ailleurs, les festivals que j’ai fondés ne reposent pas du tout sur le même modèle d’affaires que Juste pour rire, ne pouvant bénéficier d’opérations de télévision rentables. Le jazz et la chanson francophone ne font pas 10 % des cotes d’écoute des émissions d’humour. En passant, cela fait près de 20 ans que Spectra s’est retiré de la production de télévision qui s’avérait non rentable…

Le modèle d’affaires de JPR est totalement différent, puisqu’il s’agit d’abord d’une grosse machine de télévision internationale qui dépasse le seul festival, notamment avec ses captations de gros noms américains et ses capsules humoristiques qu’on voit partout dans le monde, même dans les avions. J’espère vraiment que le festival Juste pour rire pourra revenir l’an prochain, car c’est une grande perte pour Montréal.

Ensuite, contrairement aux affirmations de M. Colbert, les ventes de boissons et de souvenirs étaient effectuées par nos festivals, qui en gardaient tous les surplus pour le financement de leurs spectacles gratuits. Le seul Festival de jazz pouvait générer des revenus autonomes allant jusqu’à 4 millions par année avec ses ventes quand il n’y avait pratiquement aucun restaurant sur le site et que le Complexe Desjardins et la Place des Arts offraient deux murs aveugles sur Sainte-Catherine.

Avec le succès de nos festivals, les trois seuls à se tenir alors gratuitement autour de la Place des Arts, le Quartier des spectacles s’est développé avec ses places publiques, attirant plusieurs autres évènements qui ont repris la formule pour faire de Montréal « la ville des festivals », générant plus d’un milliard de dollars de développement immobilier. Cela devrait sonner une cloche aux oreilles d’un économiste.

On y trouve maintenant des centaines de nouveaux commerces, restaurants et bars qui refusent malheureusement de contribuer au financement des spectacles gratuits qui leur rapportent tant, alors que les ventes des festivals sur le site ont fondu sous la barre du demi-million. Il faut absolument trouver une façon de corriger cette injustice qui met en péril les festivals, dont la mission première n’est pas de vendre de la bière et des t-shirts.

« Ceux qui ont vendu leurs festivals pour des dizaines de millions. »

Personne n’a pu vendre des OBNL qui ne leur appartenaient pas, mais seulement leur contrat de maîtrise d’œuvre assorti d’un code d’éthique approuvé par les gouvernements pour assurer que les OBNL étaient bien les seuls bénéficiaires de leurs subventions et leurs surplus. Et ces contrats de gestion ne valaient certainement pas des dizaines de millions !

Quand L’Équipe Spectra a été vendue au Groupe CH, ce dernier achetait aussi ses filiales de production de spectacles, d’expositions, son agence d’artistes, sa maison de disques Spectra Musique et surtout ses salles de spectacle comme le Métropolis, pour lequel nous avions déjà reçu des offres de plus de 10 millions.

« Pour ce qui est de l’argument des retombées économiques, c’est de la foutaise. »

Demandez donc aux hôteliers, restaurateurs, compagnies aériennes, Tourisme Montréal et la Chambre de commerce s’ils pensent que c’est de la foutaise. En affirmant que les retombées économiques sont calculées selon les participants qui viennent de plus de 40 km de Montréal alors qu’ils sont comptabilisés séparément des touristes hors Québec – de qui provient la majorité des dépenses touristiques –, il fait fi du fait que le ministère du Tourisme a depuis longtemps resserré ses règles. D’ailleurs, lorsque j’étais président du Festival de jazz, je me faisais un point d’honneur d’annoncer uniquement les dépenses en argent « neuf » provenant des touristes étrangers venus principalement à Montréal pour y assister.

Contrairement aux festivals à but lucratif tenus partout dans le monde sur un site fermé payant, nos festivals urbains gratuits – qui sont les plus importants dans leur catégorie – ne peuvent profiter d’une clientèle captive pour vendre en exclusivité boissons, nourriture et souvenirs. Et ils n’ont aucun revenu provenant d’un prix d’entrée, puisqu’ils se tiennent sur la place publique.

Heureusement, les achalandages record générés par cette formule unique d’évènements urbains gratuits leur permettent encore d’aller chercher de grands commanditaires qui les appuient à coups de millions pour financer leurs spectacles gratuits et l’aménagement du site extérieur du Quartier des spectacles.

Reste que les évènements gratuits du Quartier des spectacles souffrent forcément d’un vice structurel de financement, même s’ils enrichissent toute la société, tant culturellement, socialement qu’économiquement.

Sans compter l’impact sur la réputation de notre ville et sa qualité de vie. L’accès des jeunes, des moins fortunés et des communautés culturelles aux différentes formes d’art vaut certainement l’investissement essentiel de nos gouvernements.

Force est de constater que leur structure de financement ne peut être comparée avec les « festivals normaux », comme le fait M. Colbert. Déménager tous les festivals gratuits sur un site payant n’est pas une solution. Juste pour rire l’a déjà fait au Vieux-Port et n’attirait pas 5000 personnes par jour à seulement 3 $ le billet quotidien.

Néanmoins, les malheurs de Juste pour rire provoquent aujourd’hui une prise de conscience sur la nécessité de trouver une solution pérenne pour assurer l’avenir de nos grands événements d’animation urbaine. Même s’ils bénéficient toujours de l’amour du public montréalais, je demeure inquiet pour la survie de la « poule aux œufs d’or » pour les marchands de notre ville, surtout si on continue de la tenir pour acquise et oublions de la nourrir.

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