La décision du Groupe Juste pour rire de se placer à l’abri de ses créanciers et de mettre en pause son festival phare expose au grand jour la difficile réalité des entreprises qui œuvrent dans le divertissement et l’évènementiel.

Bien sûr, le Groupe avait ses propres enjeux, et ces derniers n’étaient pas liés qu’à la seule présentation du festival Juste pour rire. Mais une chose nous semble acquise : le difficile contexte dans lequel se déroulent depuis des années les festivals présentés gratuitement au cœur de Montréal a dû être placé dans la colonne des « moins ». Nous, directeurs de festivals montréalais, y voyons un signal d’alarme.

Car, au-delà des difficultés particulières au Groupe Juste pour rire, l’annulation du festival de l’humour pourrait bien, craignons-nous, sonner la fin d’une époque, celle de Montréal comme effervescente « ville de festivals », une période où fondraient année après année les retombées économiques et touristiques générées par les évènements publics qui donnent âme et vitalité, par leurs activités gratuites, au centre-ville de Montréal. Retombées économiques qui, rappelons-le, constituent un important retour sur investissement pour les bailleurs publics.

On l’a dit et redit : nos évènements sont populaires, mais dans notre situation, succès de foule ne rime pas avec succès financier.

Il y a même de moins en moins de corrélation entre les forts achalandages et, par exemple, la vente de boissons et de nourriture. Historiquement, ces revenus ont fondu sur des décennies, au fur et à mesure que la vie commerciale autour de la place des Festivals a pris d’importantes parts de marché.

La pandémie aura aussi fait mal. L’inflation qui a suivi a eu un impact plus grand encore. On estime qu’il en coûte cette année entre 30 et 40 % de plus qu’en 2019 pour organiser un festival de même envergure.

Or, de la Ville de Montréal, la plupart d’entre nous reçoivent depuis près d’une décennie la même subvention qui n’a pas été indexée. Alors que la hausse du compte de taxes municipales suit automatiquement la courbe de l’inflation, ce n’est pas le cas des montants consacrés aux festivals et aux évènements.

À Ottawa, les bases budgétaires des programmes dont nous bénéficions du côté de Patrimoine canadien n’ont pas été revues depuis 2008. Un ajustement a bel et bien été fait en 2019 (il vient à terme dans moins d’un mois, au Fonds du Canada pour la présentation des arts).

Un brusque retour de plusieurs années en arrière avec un dollar dévalué : voilà la dure réalité à laquelle nous sommes confrontés. Qui plus est, des évènements reçoivent aujourd’hui moins qu’en 2016 pour la seule raison que l’enveloppe sert davantage de clients.

Le seul gouvernement qui a ajusté sa contribution au fil du temps est celui du Québec, par l’entremise du Programme d’aide aux festivals et évènements touristiques, mais sans avoir haussé le montant maximum admissible.

En ce qui a trait aux commanditaires privés, ils n’ont pas été épargnés par la pandémie et l’inflation. Il n’est pas facile de leur demander davantage.

Alors que nous sommes à compléter nos festivals à venir, nous constatons l’impasse budgétaire. Il faut faire des choix douloureux, au sujet des heures d’ouverture, de la programmation, du nombre de scènes où elle se déploie.

Cela n’augure rien de bon pour l’avenir.

Tout comme le Regroupement des évènements majeurs internationaux (RÉMI) au sein duquel nous œuvrons, nous en appelons à un coup de barre, à une véritable prise de conscience et à la mise en place rapide d’un plan d’action, d’une stratégie qui viendrait redonner un souffle au Montréal festif que nous souhaitons préserver, avec des partenaires incontournables dans les capitales, ici même à l’hôtel de ville, mais aussi du côté de Tourisme Montréal et du Partenariat du Quartier des spectacles notamment.

Nous avons des solutions à proposer. Il est temps de convenir des actions nécessaires et de les mettre en œuvre sans tarder.

Cosignataires : Nicolas Girard Deltruc, directeur général, Festival du nouveau cinéma, André Dudemaine, directeur artistique, Festival international Présence autochtone, Suzanne Rousseau, directrice générale, Festival Nuits d’Afrique, Stéphane Lavoie, directeur général et de la programmation, Montréal complètement cirque, Simon Gamache, directeur général, Fierté Montréal