Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité

« Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver. » Elle est fantastique, cette formule de Gilles Vigneault. Le problème, c’est qu’elle est… de moins en moins vraie.

À mes yeux, elle résume depuis longtemps la véritable nature du Québec. Notre hiver nous définit en tant que province. En tant que peuple. Qu’on le veuille ou non, c’est un marqueur identitaire fort.

Mais le sera-t-il encore ?

On a battu des records de chaleur cette semaine. Et en dépit d’une baisse soudaine du mercure après ce redoux hallucinant, la température va grimper de nouveau.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le redoux des derniers jours a provoqué la fermeture de nombreuses patinoires extérieures, comme ici à Val-David, dans les Laurentides.

Mon premier réflexe a été de donner un coup de fil à Alain Bourque, le directeur général d’Ouranos – le consortium québécois sur l’adaptation aux changements climatiques –, pour en discuter.

Il confirme que l’hiver québécois est en train de subir une transformation fondamentale. Mais il précise que la chaleur des derniers jours ne l’a pas surpris le moins du monde.

Tout ce qu’on voit là – et je ne dis pas que la période de redoux est exclusivement due aux changements climatiques – est tout à fait cohérent avec le changement du climat.

Alain Bourque, directeur général d’Ouranos

Justement, je lui ai demandé jusqu’à quel point le phénomène climatique El Niño joue un rôle dans la situation actuelle. Il est « probable » qu’il y contribue cette année, confirme l’expert.

« Mais dans un monde où l’on s’attend de toute façon à un réchauffement soutenu du climat, ce qu’El Niño vient faire, c’est qu’il nous donne une sorte d’aperçu de ce que va être un hiver normal dans quelques années ou, au maximum, deux décennies » au Québec.

Et oui, « ça va venir changer notre identité », reconnaît Alain Bourque.

L’hiver à Montréal, par exemple, ressemblera davantage à celui de Toronto. Et l’impact de la hausse des températures se fera forcément ressentir sur la pratique de divers sports (patin, ski, etc.) et autres activités hivernales (pêche sur glace, motoneige, etc.) dans la métropole et dans plusieurs régions du Québec.

Mais ça ne s’arrête pas là.

Même si les températures sont plus clémentes, on ne devrait surtout pas se réjouir, prévient Alain Bourque, car l’hiver québécois est un peu l’équivalent du canari dans la mine. Il nous alerte quant à « la monstruosité de ce qui s’en vient ».

Plus précisément, il préfigure : « les transformations du climat qui engendrent des transformations de notre environnement naturel et des écosystèmes, qui provoquent une hausse des températures de l’eau tant dans les lacs et les rivières que dans les océans ».

J’ai par ailleurs cherché à savoir quel impact peut avoir cette transformation dans un domaine très spécifique, mais également lié à notre identité : l’industrie du sirop d’érable.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le réchauffement climatique aura-t-il raison de la saison des sucres ?

« Il est trop tôt » pour estimer qu’il y a un lien entre les changements climatiques d’un côté et, de l’autre, « qualité et quantité de production de sirop d’érable ». C’est ce qu’explique le porte-parole des Producteurs et productrices acéricoles du Québec, Joël Vaudeville, qui m’a offert un bon résumé de la situation qui prévaut dans ce secteur.

« Ça reste sur notre écran radar et de très bons spécialistes travaillent là-dessus, précise-t-il. Mais les recherches ne démontrent pas encore que les changements climatiques vont faire diminuer le nombre de jours où il y a gel et dégel. »

Cette variation de température entre la nuit (gel) et le jour (dégel) est cruciale pour la production du sirop.

Pour l’instant, ce qui inquiète le plus l’industrie de l’érable, ce sont deux autres impacts du dérèglement du climat : les catastrophes naturelles – en particulier les vents violents et le verglas – et les insectes ravageurs qui trouvent ici des conditions plus favorables qu’autrefois.

Les défis à relever en ce qui concerne la transformation de nos hivers sont nombreux tant à court qu’à long terme, reconnaît-on à la Ville de Montréal.

« Dans le court terme : comment on réagit à des phénomènes […] comme une pluie suivie d’un gel et d’une température de -15oC ? C’était déjà arrivé, mais maintenant ça arrive plus souvent », explique Sidney Ribaux, directeur du Bureau de la transition écologique et de la résilience.

« On a vu des veilles de verglas et de grésil qui nous tiennent sur un pied d’alerte parce que c’est très difficile de garder le contrôle de l’entretien des trottoirs dans ces périodes-là », ajoute Marie-Andrée Mauger, membre du comité exécutif responsable de la transition écologique et de l’environnement.

Parmi les défis à long terme : comment prévoir ce que Montréal devra changer dans son approche pour faire face à ce que les hivers de l’avenir nous réservent ?

« Montréal va ressembler davantage à Toronto et à Philadelphie dans 10, 20 ou 30 ans. Ces villes-là ne sont pas équipées comme nous le sommes pour s’occuper d’une tempête de neige, me fait remarquer Sidney Ribaux. Est-ce qu’on va s’équiper autant pour faire face à des évènements qui vont avoir lieu beaucoup moins souvent ? »

Quant à l’idée que l’hiver nous définit, ils laissent tous les deux entendre que des changements importants sont à prévoir.

« Je vous rejoins en disant que l’hiver fait partie de l’identité montréalaise, dit M. Ribaux. Je suis quelqu’un de très sportif. J’allais jouer au hockey sur les patinoires extérieures naturelles, je faisais du ski de fond. Depuis quelques années, ça devient de plus en plus difficile de pratiquer ces activités-là. Et cette année, ça a été presque impossible. »

« On travaille à adapter la ville et l’offre de loisirs de la Ville », renchérit Marie-Andrée Mauger. Elle reconnaît toutefois que « d’un point de vue personnel, il y a comme un deuil à faire » en constatant que certains traits distinctifs de l’hiver dans la métropole sont en voie de disparition.

« Le statu quo n’est pas possible, déclare l’élue. Et je trouve que la réalité qu’on vit cet hiver nous force à accepter la transition dans laquelle on est plongé. J’espère que ça va nous amener à prendre conscience des changements climatiques et de ce qu’on a besoin de faire collectivement. »

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Appel à tous

Mon pays c’est… quoi ?

L’hiver québécois ne sera probablement qu’une pâle copie, à l’avenir, de celui d’autrefois. Alors comment devrait-on, d’après vous, modifier la formule de Gilles Vigneault : Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est… ?

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