L’auteur s’adresse à la ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette

La question mérite d’être posée, dans le contexte de la gestion actuelle du regroupement familial au Québec. Votre position⁠1 est en contradiction avec les valeurs d’autonomie et de liberté individuelle prônées par votre gouvernement, car le choix d’un conjoint ou d’une conjointe est un choix fondamentalement autonome.

Cette position soulève des inquiétudes non seulement sur le plan humanitaire, mais aussi sur celui de l’intégration des nouveaux immigrants. En effet, l’intégration réussie des immigrants est un pilier fondamental pour une société ouverte et inclusive, et la famille joue un rôle central dans ce processus.

Votre résistance aux propositions visant à améliorer les délais de traitement des demandes de regroupement familial, soulignées par le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, met en lumière une approche qui semble privilégier des considérations administratives ou politiques au détriment du bien-être des familles et de l’intégration des nouveaux arrivants.

Cette résistance est d’autant plus préoccupante que les délais actuels, qui s’étendent bien au-delà des normes acceptables, laissent de nombreuses familles dans une attente démesurée et une incertitude préjudiciable à leur projet de vie au Canada.

L’importance de la famille dans le succès économique et professionnel des individus est bien documentée. Elle constitue un réseau de soutien essentiel, favorisant l’adaptation et l’intégration dans un nouveau contexte socioculturel. En entravant le regroupement familial, on ne fait pas seulement face à un enjeu de séparation physique ; on limite également l’accès à ce soutien vital qui facilite l’intégration des immigrants dans leur nouvelle communauté. Cette intégration réussie est cruciale non seulement pour les individus concernés, mais aussi pour la société d’accueil, car elle contribue à la cohésion sociale, à la diversité culturelle et au dynamisme économique.

Que dire de la situation de cette femme, mère de deux enfants, qui attend son mari péruvien depuis plus de deux ans, pour qu’il lui permette de retourner au travail et qu’il s’attache (enfin) à ses enfants ? Ou de la grand-mère marocaine qui ne représentera pas un fardeau financier pour la société, qui ne souhaite que voir ses petits-enfants grandir et être dans l’entourage de son fils et de sa belle-fille pour leur permettre de prendre quelques vacances et d’accueillir leurs enfants au retour de l’école ?

Contraire aux valeurs du Québec

Les quotas et les cibles d’admission en matière de regroupement familial, tels qu’ils sont actuellement appliqués au Québec, ignorent ces réalités. Ils transforment une question de droits de la personne et de liberté personnelle en une simple affaire de chiffres et de statistiques, en contradiction avec les valeurs d’autonomie et d’ouverture que le Québec cherche à incarner. Cette approche n’est pas seulement préjudiciable aux familles qui cherchent à se réunir ; elle est aussi contre-productive en matière d’intégration des immigrants, un processus qui ne saurait être réduit à des quotas ou des cibles arbitraires.

Il est impératif de repenser cette politique pour qu’elle reflète mieux les valeurs d’une société qui se veut accueillante et inclusive. Cela passe par une reconnaissance de l’importance du regroupement familial dans l’intégration des nouveaux arrivants et une volonté de faciliter ce processus plutôt que de l’entraver.

Le regroupement familial ne devrait pas être vu comme un fardeau ou une variable ajustable en fonction des besoins administratifs ou des quotas politiques, mais comme un investissement dans l’avenir, contribuant à l’épanouissement des individus et à la prospérité de la société dans son ensemble.

Votre gouvernement a l’occasion de faire preuve de leadership en adoptant une approche plus humaine et plus pragmatique du regroupement familial. Cela nécessite de mettre de côté les calculs politiques pour se concentrer sur l’essentiel : le bien-être des familles et l’intégration réussie des immigrants au sein de notre société. Il est temps d’agir avec compassion et vision, pour le bien de tous les Québécois et Québécoises, ainsi que pour celui des nombreux individus et familles qui aspirent à faire du Québec leur nouveau foyer.

Avec respect et espoir de changement, nous vous invitons, Mme Fréchette, à reconsidérer votre position sur cette question cruciale. Les valeurs d’autonomie et de liberté individuelle que vous défendez doivent s’appliquer à tous, sans exception. Les familles séparées par des frontières et des politiques attendent de vous une action concrète qui reflète ces valeurs. Il est temps de repenser cette approche, pour une politique de regroupement familial qui soit à la hauteur des aspirations d’une société ouverte, inclusive et dynamique.

L’heure n’est pas à avoir peur de ne pouvoir intégrer ces nouveaux immigrants, mais à avoir le courage de les accueillir rapidement afin de stabiliser des familles déjà fragilisées depuis trop longtemps.

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