Les élections qui ont eu lieu à Taïwan le 13 janvier ont confirmé que la démocratie y est en meilleure santé qu’aux États-Unis, au Japon ou même au Canada (selon le classement établi par l’Economist Intelligence Unit).

Malgré les mesures déployées par le régime chinois pour influencer le résultat des élections (tarifs punitifs sur des produits taïwanais, vols militaires, incursions navales, menaces de guerre, appui à des candidats qui favorisent l’unification, mesures importantes de désinformation, etc.), William Lai, du Parti démocrate progressiste (PDP), a été élu président avec 40 % du vote populaire contre son principal opposant, Hou Yu-ih, du Kuomintang, qui a obtenu 33,5 % du vote. Cependant, ce dernier a remporté 52 sièges à l’Assemblée législative (« Yuan »), contre 51 pour le PDP.

Le PDP devra porter davantage attention aux questions économiques (faible croissance, chômage chez les jeunes, crise du logement) qui lui ont fait perdre une partie du vote de ces jeunes au profit du Parti populaire taïwanais qui, à sa première présence, a bien fait, son candidat Ko Wen-je récoltant 26,5 % du vote populaire et 8 sièges à l’assemblée. Étant donné qu’environ 25 % des exportations de Taïwan vont en Chine, celle-ci continuera d’utiliser la manière forte d’ici à la prestation de serment du nouveau président le 20 mai pour lui faire comprendre que toute velléité d’indépendance sera réprimée, sans exclure la possibilité d’une intervention armée.

PHOTO LOUISE DELMOTTE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

William Lai, du Parti démocrate progressiste (PDP), au centre, a été élu président de Taïwan avec 40 % du vote populaire le 13 janvier dernier.

À ce sujet, le discours de la Chine s’est considérablement durci au cours des dernières années : pour le Parti communiste chinois, l’unification est une nécessité historique (même si le régime n’a jamais contrôlé l’île), tandis que pour le président Xi Jinping, c’est la pièce maîtresse de son héritage politique. La Chine n’aide pas sa cause puisque, tirant profit des préoccupations des démocraties avec la COVID-19 en 2020, elle en a profité pour prendre le contrôle total de Hong Kong malgré sa promesse de maintenir le modèle « un pays, deux systèmes » jusqu’en 2047, avec le résultat que 88 % des citoyens taïwanais préfèrent le statu quo et seulement 3 %, l’unification.

À quoi faut-il s’attendre de la part de la Chine ? Il est clair qu’elle n’est pas prête à déclencher une opération militaire d’envergure ; cependant, le président Xi a demandé à l’Armée populaire de libération d’être prête pour une telle éventualité en 2027.

Entre-temps, la Chine va continuer à empêcher la participation de Taïwan à des organisations internationales et à lui couper l’oxygène sur le plan diplomatique en essayant de convaincre les 12 derniers pays qui reconnaissent Taïwan de plutôt reconnaître la Chine (le 13e, Nauru, a d’ailleurs annoncé le lendemain de l’élection son changement d’allégeance). Cependant, la Chine a déjà démontré qu’elle pourrait facilement organiser un blocus maritime autour de Taïwan pour empêcher ses approvisionnements (plus de 90 % de l’énergie est importée) et ainsi infliger de graves dommages à son économie.

Tout en continuant les pressions économiques sur Taïwan à court terme, la Chine va vouloir attendre le résultat de l’élection présidentielle américaine avant de décider des prochaines étapes. Si Donald Trump est élu (ce que souhaite la Chine), elle voudra essayer de négocier une entente qui satisferait l’ego de Trump avec, par exemple, une garantie que les approvisionnements en microprocesseurs continueront, tout en lui laissant le champ libre sur le plan militaire.

Cela signifie que les tensions dans le détroit de Taïwan vont continuer à court terme.

Le Canada a déjà augmenté sa présence, et une frégate canadienne effectue périodiquement des passages dans ce détroit en compagnie de navires américains. Que peut-il faire d’autre ? Étant donné le piètre état des relations avec la Chine, il est évident que le Canada ne peut exercer beaucoup de pressions.

La voie à privilégier serait plutôt du côté multilatéral en travaillant avec les pays démocratiques sur une approche commune pour demander à la Chine de préserver le statu quo, car si d’aventure elle faisait un geste grave envers Taïwan, elle serait sujette à des sanctions économiques qui auraient un impact considérable sur son économie. À cet égard, il ne faut pas exclure un coup de force hâtif de la part de Xi Jinping, surtout si la grogne populaire s’accentue à la suite du ralentissement de l’économie chinoise. Le Canada pourrait aussi appuyer l’adhésion de Taïwan à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste et, même, entamer des discussions sur un accord de libre-échange.

Il est dommage que les Américains se soient opposés à la résolution que le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Paul Martin Sr., avait présentée aux Nations unies en 1966 lors des discussions sur l’entrée de la Chine communiste voulant que Taïwan garde aussi son siège, une situation semblable à celle des deux Allemagnes ou des deux Corées… La situation serait beaucoup plus simple aujourd’hui.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue