(Islamabad) Le Pakistan, une république islamique de 240 millions d’habitants dotée de l’arme nucléaire, vote jeudi pour des élections législatives dont la régularité a été mise en cause avant même le scrutin, avec l’emprisonnement du populaire ex-premier ministre Imran Khan.

La victoire semble promise à Nawaz Sharif, revenu en octobre de quatre années d’exil, et qui pourrait à 74 ans redevenir premier ministre pour la quatrième fois avec la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N).

Le pays, indépendant depuis 1947, se décrit comme la cinquième plus grande démocratie au monde, une image toutefois écornée par la répression qui s’est abattue sur Imran Khan et son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI).

L’ancien joueur de cricket, qui avait mené le Pakistan à son seul titre mondial en 1992, reste à 71 ans une icône de la jeunesse pakistanaise. Il a été condamné la semaine dernière à trois longues peines de prison pour corruption, trahison et mariage illégal.

Imran Khan est loin d’être la première personnalité écartée d’une élection au Pakistan, pays où aucun premier ministre n’est jamais allé au bout de son mandat et où la prison est souvent un passage obligé pour les hauts dirigeants.

Mais il a été traité avec une fermeté que les Pakistanais, qui ont vécu plus de trois décennies sous régime militaire, n’avaient pas connue depuis longtemps.

« Je suis sûr que (l’armée) est inquiète », a déclaré à l’AFP l’analyste Shuja Nawaz, estimant que le PTI reste en mesure d’obtenir « un nombre assez important (de sièges) et de continuer à peser ».

Le Pakistan, qui occupe une position stratégique, coincé entre l’Afghanistan, la Chine, l’Inde et l’Iran, connaît une nouvelle dégradation de sa situation sécuritaire, notamment depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021.

Répression acharnée

Fin janvier, Islamabad a par ailleurs connu un regain de tensions avec l’Iran, lorsque les deux pays ont tour à tour frappé des groupes rebelles sur le sol du voisin.

Profondément endetté, le Pakistan a frôlé le défaut de paiement l’an passé, n’évitant le pire que grâce à un nouveau renflouement du Fonds monétaire international (FMI) et à des prêts de pays amis, la Chine, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

La roupie a chuté de près de 50 % depuis 2021 et l’inflation a atteint des proportions – autour de 30 % – jugées intenables pour la population.

Le scrutin a été repoussé de plusieurs mois, officiellement pour redessiner les circonscriptions après le dernier recensement. Mais les analystes estiment que cela a surtout permis à l’armée de préparer le terrain pour obtenir un résultat électoral à sa convenance.

Imran Khan lui a attribué ses ennuis judiciaires, après l’avoir déjà accusée d’avoir favorisé en sous-main son éviction du poste de premier ministre en avril 2022.  

Il avait pourtant bénéficié des faveurs des militaires pour être élu en 2018, et n’avait lui-même pas été tendre avec les opposants tombés en disgrâce auprès de l’armée lorsqu’il dirigeait le gouvernement.

Mais sa posture anti-establishment a fini par se traduire par une répression acharnée à l’encontre du PTI, qui a été touché par une vague d’arrestations et de défections forcées, et a été empêché de mener campagne sur le terrain.

« Fortement lésés »

Nombre de candidats du PTI ont vu leur candidature aux élections invalidées et une décision de justice a obligé les autres à se présenter en indépendants.

« La manière dont de nombreuses candidatures ont été rejetées est éhontée », a estimé en janvier la Commission pakistanaise des droits humains (HRCP), un organisme indépendant, dénonçant des « manipulations pré-électorales ».

Le PTI amoindri, la PML-N est considérée comme la favorite des législatives.

Nawaz Sharif, qui a lui-même connu la prison par le passé, est rentré au Pakistan en octobre après quatre années d’exil à Londres et a depuis bénéficié de l’annulation de plusieurs condamnations antérieures pour corruption. Il avait accusé les militaires d’avoir fabriqué ces charges pour l’écarter des élections de 2018, mais jouirait désormais de leur soutien.

La PML-N devra probablement former une coalition, peut-être avec le Parti du peuple pakistanais (PPP), de Bilawal Bhutto Zardari, autre formation qui domine depuis des décennies la vie politique nationale.

« Aucun parti n’obtiendra la majorité absolue », prédit Michael Kugelman, expert au Wilson Center de Washington. Le vainqueur devra « assembler ce qui sera probablement une coalition faible, susceptible d’être fortement influencée par l’armée ».

Pour les partisans d’Imran Khan, qui les avait séduits en 2018 par sa promesse de balayer des décennies de corruption symbolisée par la PML-N et le PPP, la désillusion pourrait être terrible.

Ils risquent de « se sentir fortement lésés », estime M. Kugelman, selon qui la stabilité du pays dépendra de « la manière dont les supporteurs du PTI vont répondre et dont l’État va gérer cette situation ».