L’interdiction par un tribunal de Hong Kong d’un chant de ralliement qui avait été adopté il y a quelques années par des centaines de milliers de manifestants prodémocratie s’inscrit dans une longue série de mesures répressives introduites sous pression des autorités locales.

« Ça montre encore une fois à quel point les dirigeants de Hong Kong sont paranoïaques », relève en entrevue Benedict Rogers, qui chapeaute Hong Kong Watch, une organisation britannique surveillant l’évolution des droits de la personne dans l’ancienne colonie.

L’introduction en 2020, à l’initiative de Pékin, d’une loi sur la sécurité nationale qui prévoit de lourdes peines d’emprisonnement pour tout acte de « sédition » ou de « collusion avec l’étranger » a permis d’étouffer toute contestation, souligne le militant, qui craint de voir l’accès à l’internet compromis à son tour.

« Les autorités ont toujours refusé d’appliquer à Hong Kong la censure en ligne appliquée en Chine continentale pour permettre à la ville de conserver son vernis international, mais je crains que les choses changent là aussi », a relevé M. Rogers.

Le tribunal ayant approuvé l’interdiction du chant Gloire à Hong Kong a indiqué qu’une injonction était nécessaire, notamment pour convaincre les plateformes en ligne étrangères comme Google de retirer toute référence à l’œuvre.

« J’espère qu’elles ne vont pas s’y conformer », a indiqué M. Rogers.

Jeffrey Wasserstrom, professeur d’histoire de l’Université de Californie à Irvine qui suit de près les développements à Hong Kong, relève que l’interdiction de la chanson s’inscrit dans « un long processus d’étranglement des libertés individuelles » dans l’ancienne colonie.

Il craint, à l’instar de M. Rogers, que la volonté affichée du tribunal d’influencer le contenu accessible en ligne pour les Hongkongais « envoie le signal » que l’internet sera lui aussi largement censuré dans un avenir rapproché comme il l’est ailleurs en Chine.

Une « arme » contre Pékin

La chanson ciblée par les tribunaux a été écrite par un militant prodémocratie en 2019 alors que l’ancienne colonie était secouée par une vague de protestations de grande envergure.

L’annonce d’un projet d’extradition devant permettre le renvoi en Chine continentale de présumés criminels avait mis le feu aux poudres. Les revendications s’étaient ensuite élargies au maintien des libertés fondamentales que Pékin s’était engagé à respecter pour la période de 50 ans suivant la rétrocession de la colonie en 1997.

Le chant Gloire à Hong Kong a été entonné publiquement à l’époque à de nombreuses occasions, devenant pratiquement inséparable du mouvement.

Il comprend des passages soulignant la nécessité pour la population de se rebeller et de prendre les armes pour assurer le maintien de la démocratie.

Le juge chinois responsable de l’injonction a précisé que l’auteur du chant – un militant connu simplement par son prénom – avait voulu en faire une « arme » contre Pékin et était parvenu à ses fins.

L’œuvre est « puissante pour susciter des émotions parmi certaines fractions de la société » et a eu pour effet de « justifier et même de romancer les protestations », a souligné le magistrat selon un compte rendu de l’Agence France-Presse.

Il a précisé que son utilisation, mis à part pour des activités académiques ou journalistiques, représentait un risque pour la sécurité nationale et ne pouvait être tolérée.

Une interdiction « dangereuse »

Un juge de première instance avait opiné en sens contraire en juillet en arguant que l’injonction risquait d’avoir une efficacité limitée et soulèverait de graves questions de liberté d’expression.

La décision en appel montre que les « tribunaux hongkongais ont perdu toute forme d’indépendance », juge Benedict Rogers, qui dénonce depuis des années la pression exercée par Pékin sur l’ancienne colonie.

Le gouvernement chinois a salué de son côté le jugement en arguant qu’il était bel et bien « nécessaire » pour assurer un calme durable à Hong Kong.

L’adoption de la loi sur la sécurité nationale avait permis d’étouffer rapidement les manifestations et mené à l’arrestation de nombreux militants.

Plusieurs chefs de file du mouvement s’étaient exilés à l’étranger par crainte de représailles des autorités, qui se sont attaquées dans les dernières années à de nombreux journalistes et médias tout en censurant une longue liste d’ouvrages.

La directrice d’Amnistie internationale pour la Chine, Sarah Brooks, a indiqué mercredi que la décision du tribunal représentait une interdiction « ridicule » et « dangereuse » et une nouvelle illustration de la volonté de Pékin de bafouer ses engagements en matière de droits de la personne.

« Chanter une chanson ne devrait jamais être un crime », a-t-elle souligné.