(Nouméa) La vie quotidienne des Néo-Calédoniens devient de plus en plus difficile samedi, malgré une situation « plus calme » sur la majeure partie de l’archipel français du Pacifique Sud, au sixième jour des émeutes causées par une réforme électorale qui a provoqué la colère des indépendantistes.

Vendredi en fin de soirée, l’arrivée de 1000 renforts supplémentaires, en plus des 1700 déjà déployés, a montré la détermination des autorités françaises pour reprendre le contrôle de la situation.

Mais pour les habitants, les dégâts de plus en plus étendus compliquent le ravitaillement dans les commerces, ainsi que le fonctionnement des services publics, notamment de santé.

Le danger subsiste par ailleurs dans les quartiers où les émeutiers sont les plus nombreux et les mieux organisés.

Dans l’un d’eux, la Vallée du Tir à Nouméa, un motard s’est tué vendredi en fin d’après-midi dans un accident de la route en heurtant une épave de voiture.

« Les premiers éléments de l’enquête […] tendent à établir que le motocycliste, arrêté au feu rouge […] a démarré par de fortes accélérations, puis est venu percuter un véhicule incendié se trouvant au milieu de la chaussée », a indiqué dans un communiqué le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas.

Les autorités françaises espèrent que l’état d’urgence en vigueur depuis jeudi va continuer à faire reculer les violences, qui ont débuté lundi après une mobilisation contre une réforme électorale contestée par les représentants du peuple autochtone kanak.

PHOTO DELPHINE MAYEUR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des voitures incendiées sur le stationnement d’un concessionnaire automobile dans le quartier Magenta de Nouméa, le 17 mai.

Depuis, la crise qui frappe ce territoire colonisé par la France au XIXe siècle a fait cinq morts, dont deux gendarmes et trois civils kanaks, et des centaines de blessés au cours de violentes nuit d’émeutes. En réponse, le gouvernement a envoyé des renforts policiers, interdit TikTok – réseau social prisé des émeutiers –, et déployé des militaires.  

Strict minimum

Devant les rares magasins de Nouméa qui n’ont pas été ravagés par les flammes ou pillés, les files d’attente restaient très longues samedi.

« Cela fait plus de trois heures qu’on est là », soupirait Kenzo, 17 ans, en quête de riz et de pâtes.  

Selon la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie, les violences ont « anéanti » 80 % à 90 % de la chaîne de distribution commerciale de la ville.

Le représentant de l’État français en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, a promis la mobilisation de l’État pour « organiser l’acheminement des produits de première nécessité » et un « pont aérien » entre la métropole et son archipel, séparés de plus de 16 000 km.

De son côté, un responsable de l’hôpital de Nouméa, Thierry de Greslan, s’est alarmé de la dégradation de la situation sanitaire. « Trois ou quatre personnes seraient décédées hier (jeudi) par manque d’accessibilité aux soins », en raison notamment de barrages érigés dans la ville, a-t-il avancé sur la radio France Info.

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Des soldats français du 8e Régiment d’infanterie de marine ont sécurisé l’aéroport Magenta à Nouméa, le 17 mai.

Face à la « gravité » de la situation et afin « de répondre aux besoins sanitaires de la population », l’Établissement français du sang (EFS) a annoncé vendredi l’envoi de produits sanguins.

« Grande fermeté »

A Paris, le ministre de la Justice a demandé au parquet « la plus grande fermeté à l’encontre des auteurs des exactions ». Eric Dupond-Moretti a aussi indiqué qu’il envisageait de transférer les « criminels » arrêtés sur le « Caillou » en métropole « pour ne pas qu’il y ait de contaminations […] des esprits les plus fragiles ».

Parallèlement, la justice française a ouvert une enquête sur « les commanditaires » des émeutes, ciblant notamment le collectif CCAT (Cellule de coordination des action de terrain), frange la plus radicale des indépendantistes, déjà mis en cause par le gouvernement.

« J’ai décidé d’ouvrir une enquête visant notamment des faits susceptibles de concerner des commanditaires », parmi lesquels « certains membres de la CCAT », a déclaré le procureur Yves Dupas, pointant « ceux qui ont instrumentalisé certains jeunes dans une spirale de radicalisation violente ». Au total, depuis dimanche, 163 personnes ont été placées en garde à vue, dont 26 ont été déférées devant la justice, selon le parquet.

Jeudi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié la CCAT d’organisation « mafieuse ».

Vendredi, ce collectif a demandé « un temps d’apaisement pour enrayer l’escalade de la violence ». Sur la radio RFI, un de ses membres, Rock Haocas, a assuré que son organisation « n’a pas appelé à la violence », attribuant ces émeutes à une « population majoritairement kanak marginalisée ».

Sur le front politique, après l’annulation d’une visioconférence avec tous les élus calédoniens jeudi, le président français Emmanuel Macron a commencé vendredi à avoir des échanges avec certains d’entre eux, mais son service de communication a refusé d’en dire plus.

Présentée par son gouvernement, la réforme constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales sur l’archipel. Les partisans de l’indépendance estiment que cette modification risque de réduire leur poids électoral.

Paris a par ailleurs détaillé ses accusations portées contre l’Azerbaïdjan « d’ingérences » en Nouvelle-Calédonie, archipel stratégique pour la France qui veut renforcer son influence en Asie Pacifique et de part ses riches ressources en nickel.  

Paris a évoqué une « propagation massive et coordonnée » de contenus relayés par des comptes liés à Bakou et accusant la police française de tirer sur des manifestants indépendantistes.