À la longue liste des caractéristiques qui font du Québec une société si particulière, il y a maintenant lieu d’ajouter l’aide médicale à mourir. En effet, cette dernière est si populaire au Québec qu’elle en fait, semble-t-il, un leader mondial.

Il est vrai qu’au Canada, le Québec a été un pionnier en matière d’aide médicale à mourir. Il a traité ce type d’aide comme un soin de fin de vie et a soutenu qu’il faisait partie d’une espèce de continuum dans la prestation des traitements auxquels peut avoir recours un patient.

Dans l’arrêt Carter c. Canada, rendu en 2015 par la Cour suprême du Canada, celle-ci a légitimé l’approche québécoise en matière d’aide médicale à mourir, tout en allant même encore plus loin que l’Assemblée nationale du Québec.

En effet, la Cour suprême a autorisé l’assistance d’un médecin pour mourir, dans le cas d’une personne adulte capable, qui consent clairement à mettre fin à sa vie, et qui est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.

Quelques années plus tard, soit en 2019, c’était au tour de la Cour supérieure du Québec d’invalider en partie la loi québécoise à l’occasion de l’affaire Truchon, sur le fondement du caractère par trop limitatif du critère de « fin de vie ». La Cour supérieure a fait pareil dans la même affaire avec la loi fédérale, cette dernière ayant fait un absolu du critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible ».

Dans la loi 11, qui modifie la loi québécoise portant sur les soins de fin de vie, il est notamment prévu que les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, menant à l’inaptitude à consentir aux soins, peuvent formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir afin qu’elles puissent bénéficier de cette aide une fois devenues inaptes.

Du côté fédéral, c’est à compter du 17 mars 2024 que les personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale – et qui satisfont à tous les autres critères d’admissibilité prévus dans la législation canadienne – seront admissibles à l’aide médicale à mourir. Toujours du côté fédéral, on a prévu dans une loi qui est entrée en vigueur le 17 mars 2021 la possibilité pour les patients dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible de renoncer, dans certains cas bien précis, à l’obligation de fournir leur consentement final immédiatement avant de recevoir l’aide médicale à mourir.

Certes, bien des questions restent en suspens, comme l’admissibilité des mineurs capables, les demandes anticipées (du côté fédéral), l’amélioration des soins palliatifs, la protection des Canadiens ayant un handicap, etc.

Compassion généralisée ou pente glissante ?

Néanmoins, nous ne pouvons que constater que le dossier de l’aide médicale à mourir est en pleine évolution, en pleine ascension, oserions-nous dire, allant d’ouverture en ouverture, d’élargissement en élargissement. Plusieurs y voient le signe d’une compassion généralisée du public pour ceux et celles qui demandent cette aide. D’autres, sans doute beaucoup moins nombreux, y voient plutôt une pente glissante menant à des abus de toutes sortes.

Il n’est pas inutile de rappeler que dans l’arrêt Carter, la Cour suprême avait insisté sur l’adoption par le Parlement canadien et les législatures provinciales de mesures de « sauvegarde » robustes, destinées à protéger les personnes vulnérables contre les risques de dérapage et d’excès qui risquent de marquer l’aide médicale à mourir.

Car risques il y a, effectivement. On en parle trop peu au Québec et dans le reste du Canada. C’est dommage. Cela fausse par ailleurs le débat.

En enrobant l’euthanasie volontaire et le suicide assisté du thème séduisant de « mourir dans la dignité », on s’est trouvé à rendre moins présentes dans le débat public des questions pourtant fondamentales, comme celles qui sont liées à la valorisation de la vie ou aux risques de banalisation du suicide.

Que l’on nous comprenne bien, cependant ! Nous ne sommes pas opposé à l’aide médicale à mourir. En fait, il s’agit d’une option tout à fait légitime et valable pour nombre de personnes. Nous disons simplement que les records mondiaux que bat le Québec en pareille matière devraient nous interpeller collectivement, ne serait-ce que pour chercher à comprendre ce phénomène au-delà des statistiques.

Car nous croyons que les choix sociaux qu’implique l’aide médicale à mourir mériteraient que l’on s’y arrête davantage et que l’on se pose, comme société, la question de savoir vers quoi nous voulons tendre, jusqu’où nous sommes prêts à aller et quel sens nous entendons donner à la mort et à la vie.

*L’auteur a été l’un des trois membres du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada, qui a été mis sur pied par le gouvernement canadien en 2015.

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