Contrairement aux autres Canadiens, les Québécois atteints de lourds troubles psychiatriques résistants aux traitements ne pourront pas demander l’aide médicale à mourir (AMM) si Ottawa donne son feu vert à cette mesure le 17 mars, comme des malades l’espèrent.

Le cabinet de la ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, en a informé le réseau par lettre, après avoir fermé la porte à cette pratique, en juin. Le gouvernement québécois a alors élargi l’accès à l’AMM aux maladies dégénératives et aux handicaps physiques graves en adoptant une loi où il affirme qu’un « trouble mental autre que neurocognitif » n’est pas une maladie.

Le site web du ministère de la Santé et des Services sociaux affirmait toujours, au moment de publier, que « des souffrances psychiques constantes et insupportables » peuvent rendre admissible à l’AMM, sans préciser que ces tourments ne doivent pas découler de problèmes psychiatriques. Cette page sera bientôt corrigée, a écrit le cabinet en réponse à nos questions.

La discordance entre les différentes lois et sources d’informations sème la confusion dans la population et chez certains professionnels – qui s’attendent à des contestations judiciaires.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La bioéthicienne Marie-Alexandra Gagné

Plusieurs experts estiment que de légaliser l’AMM pour trouble mental dans le reste du Canada, excluant le Québec, pourrait s’avérer discriminatoire. Ils sont donc nombreux à réfléchir et travailler toujours sur ces enjeux.

Marie-Alexandra Gagné, bioéthicienne

Sur le terrain, les cliniciens nagent dans l’ambiguïté, renchérit le Dr Jean-François de la Sablonnière, psychiatre à Rivière-du-Loup. « Si on refuse l’AMM, on s’attend à se faire contraindre de l’accorder à cause de la loi [fédérale] et du courant social. »

Date reportée ?

Au Canada, l’AMM pour trouble mental devait devenir réalité à partir du 17 mars – trois ans après avoir été légalisée, sans pouvoir être offerte pour autant, afin que les provinces s’y préparent. « Mais ce qu’on entend à travers les branches, c’est que le fédéral va encore repousser la date, même si personne ne l’a dit officiellement, parce qu’il y a beaucoup d’inquiétudes [quant à cette pratique] », dit le Dr David Lussier, gériatre, professeur de médecine et membre de la Commission sur les soins de fin de vie.

Techniquement, on est prêt, il y a eu des formations. Mais on n’est pas certain qu’il y ait un consensus, autant au fédéral qu’au provincial.

Le Dr David Lussier, gériatre, professeur de médecine et membre de la Commission sur les soins de fin de vie

Le Collège des médecins du Québec et l’Association des psychiatres du Québec se sont prononcés en faveur de l’AMM pour maladie mentale. Mais plusieurs professionnels de la santé s’y opposent. Et les différents groupes de défense des personnes souffrant de troubles mentaux ont également adopté des positions opposées. Certains réclament un élargissement. D’autres craignent qu’il ne banalise le suicide.

« [Ces] troubles n’ont pas été ajoutés dans les critères d’admissibilité par manque de consensus dans la société québécoise et dans la communauté médicale », nous a écrit le cabinet de la ministre Bélanger.

En 2020, la ministre de la Santé de l’époque affirmait en conférence de presse qu’elle modifierait les règles afin d’« implanter l’aide médicale à mourir [avec des mesures de sauvegarde] pour des personnes qui ont des troubles mentaux sévères ».

Trudo Lemmens, professeur à la faculté de droit de l’Université de Toronto, juge que le Québec fait bien de reculer, car la marge d’erreur reste trop grande en psychiatrie et les prédictions sont trop peu fiables. « Quand des gens ont tout essayé [sans succès], c’est souvent parce que leur diagnostic ou leurs traitements étaient inadéquats. »

Les barrières juridiques élaborées par Ottawa demeurent insuffisantes, ajoute-t-il. « La loi canadienne est la seule à ne pas exiger que le médecin conclut, comme le patient, qu’il n’y a pas d’autres mesures pour soulager sa douleur. »

PHOTO FOURNIE PAR TRUDO LEMMENS

Trudo Lemmens, professeur à la faculté de droit de l’Université de Toronto

Dans un monde idéal, on aurait uniquement des praticiens prudents, qui accordent l’AMM dans les cas extrêmes, après des décennies de traitements, mais on ne peut pas en avoir la certitude. Les directives sont trop floues.

Trudo Lemmens, professeur à la faculté de droit de l’Université de Toronto

Même s’ils n’ont pas légiféré pour l’interdire dans leurs provinces respectives, « plusieurs ministres de la Santé ont donc exprimé leur inquiétude face à l’inclusion de la santé mentale », rapporte le professeur.

À son avis, les provinces peuvent « décider que, dans les circonstances de leur système de santé, l’AMM n’est pas sécuritaire pour certaines conditions médicales ». Au Québec, la loi sur la vente de cannabis est plus restrictive qu’ailleurs, souligne-t-il. « Et la Cour suprême du Canada l’a validée en déclarant que les provinces peuvent avoir une certaine marge de manœuvre. »

Le psychiatre Jean-François de la Sablonnière n’est pas opposé à l’AMM. Mais hors des grands centres, le manque de ressources est un obstacle majeur, craint-il. « La distance ou des enjeux financiers privent les patients de soins reconnus et plus efficaces que la médication, qui pourraient modifier leur désir de mourir. Ça m’apparaît inacceptable dans une optique d’AMM. Fermer la porte permet de gagner du temps, mais n’est pas une solution viable à long terme, puisque le monde souffre et est sous-traité. »

Moins dommageable que le suicide

Des Québécois en lutte contre la dépression préféreraient demander l’aide médicale à mourir (AMM) que d’imposer à leurs proches la catastrophe d’un suicide. « Pour mon entourage, j’aimerais mieux cette avenue que de recourir à mon plan B », nous a écrit une lectrice. « Les tentatives de suicide faites en cachette font très mal aux familles », rappelle une autre. Le Dr Jean-François de la Sablonnière comprend leur point de vue. Chaque suicide affecte environ 40 personnes, dont 10, très directement, indique le psychiatre. « Il n’y a rien de plus violent, dit-il. Les proches restent pris avec beaucoup d’émotions entremêlées, qui sont très difficiles à gérer en plus de la perte. L’AMM pour trouble mental permet à des gens de partir dignement, après préparation et en étant entourés. » Bien évidemment, cette mesure doit toutefois être refusée aux personnes n’ayant pas eu accès longuement à une grande variété de soins adéquats ou qui se trouvent en pleine crise suicidaire.

BESOIN D’AIDE ?

  • Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553)
  • LigneParents : (1 800 361-5085)
  • Tel-jeunes : (1 800 263-2266)