Des résidants d’un CHSLD vendent et consomment du crack dans leur propre établissement et même devant l’entrée, dénoncent des occupants du centre d’hébergement Paul-Émile-Léger, situé à deux pas de ce que l’on surnomme « l’allée du crack », en plein cœur de Montréal. Le centre est au courant du problème et dit collaborer avec le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Plus le temps passe, plus il y a de monde qui devient addict », lance Vincent*, qui habite au centre d’hébergement situé sur le boulevard René-Lévesque, angle Saint-Dominique. Dans les derniers mois, le crack a pris d’assaut l’établissement du centre-ville de Montréal, raconte-t-il.

« Je ne me sens plus en sécurité où j’habite. Je me sens coincé. Je ne peux rien faire », confie le jeune homme quadriplégique rencontré mardi dans la cour du centre. L’arrivée de drogues dures dans l’établissement l’inquiète et lui fait craindre de se faire dévaliser sa chambre par des personnes intoxiquées qui sont parfois agressives. « C’est ma maison et je dois m’inquiéter de mes affaires personnelles », déplore-t-il.

Le centre d’hébergement Paul-Émile-Léger accueille des résidants de 20 à 65 ans, en perte d’autonomie liée à des déficiences physiques. L’établissement est à une rue de « l’allée du crack », où se trouve un centre d’injection supervisée de l’organisme Cactus. Il est également à proximité de la rue De La Gauchetière, où plusieurs surdoses ont eu lieu dans les dernières années.

Vincent voit régulièrement des résidants fumer du crack devant l’entrée de l’établissement ou dans leur chambre. « C’est comme une pandémie ici. » Il raconte avoir averti à plusieurs reprises les membres du personnel et la direction. « Ils disent toujours qu’ils sont en train de faire quelque chose. Mais je commence à être tanné », s’exclame celui qui habite au centre d’hébergement depuis près de deux ans.

Un résidant devient dépendant

La situation s’est détériorée dans les trois derniers mois, confie Jean-Michel*, qui réside au centre depuis plusieurs années. « Il y a plusieurs personnes qui vendent du crack et du speed. C’est ridicule, ils le font devant le banc », dit-il en pointant l’entrée de l’établissement, rue Saint-Dominique.

Je suis tanné de voir ça ici. Si ça n’arrête pas, la moitié du building va être des crackheads.

Jean-Michel, résidant du centre d’hébergement Paul-Émile-Léger

L’homme avec qui il partage sa chambre au centre d’hébergement est devenu dépendant au crack ces derniers mois après s’en être fait donner par un des vendeurs, raconte-t-il. « Je lui ai dit de lâcher le crack et de fumer du pot à la place. » Sans succès.

Son cochambreur ne se cache pas quand vient le temps de prendre sa dose, dit Jean-Michel. « Il voulait en faire dans la chambre. Je l’ai vu juste à temps. Je lui ai dit d’aller dehors. J’étais fâché », se remémore-t-il.

L’apparition d’un « petit réseau »

Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal confirme être au courant de la situation. « Nous sommes extrêmement conscients de cette préoccupation de la clientèle. C’est préoccupant pour nous aussi comme gestionnaire », dit d’emblée le directeur adjoint du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA) – hébergement, Frédérick Boulé, en entrevue avec La Presse.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le centre d’hébergement Paul-Émile-Léger

Il soutient que la consommation n’est pas tolérée à l’intérieur des établissements. Si le personnel a des soupçons de vente ou de trafic de drogues, les services de police sont avisés. Des interventions du SPVM ont d’ailleurs eu lieu dernièrement au centre d’hébergement. « Nous avons fait des interventions sur des échanges suspects qui auraient pu survenir », explique M. Boulé.

Le directeur explique la situation notamment par l’arrivée, dans les derniers mois, de nouveaux résidants avec un « profil marginal », soit des personnes ayant vécu entre autres de la pauvreté, de la violence ou de la consommation.

Ils se sont trouvés entre eux et ils se tiennent davantage ensemble, d’où le fait qu’on a l’impression qu’il y a un petit réseau.

Frédérick Boulé, directeur adjoint du SAPA – hébergement au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Pour assurer la sécurité des résidants, un agent de sécurité est en poste en tout temps et des caméras ont été installées. « Par exemple, au fumoir, des fois, ces gens-là se rencontrent, puis ils transigent, donc on s’est assurés que nos caméras nous permettaient de le surveiller. » S’il le faut, ces images seront fournies au SPVM, soutient M. Boulé.

Éviter que la situation « dérape »

Le CIUSSS dit miser sur la sensibilisation et l’éducation auprès de la clientèle, afin d’éviter que certains occupants se mettent à consommer. « On est très proactifs, parce que c’est préoccupant. On ne souhaite pas que ce soit quelque chose qui dérape », dit Frédérick Boulé.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Un homme désemparé près du centre d’hébergement Paul-Émile-Léger

Il souhaite tout de même rassurer la clientèle. « Ce n’est pas parce qu’on a un, deux, trois résidants qui consommeraient que tout le centre va consommer demain matin. »

Il souligne d’ailleurs que de l’encadrement est offert aux résidants ayant des problèmes de toxicomanie. « On essaie vraiment de les aider à réduire leur consommation et les comportements indésirables, dit-il. Mais on ne peut pas les attacher et les contentionner pour ne pas qu’ils consomment. »

* Les prénoms ont été modifiés, les résidants craignant des représailles.

Qu’est-ce que « l’allée du crack » ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« L’allée du crack », dans le Quartier des spectacles

La petite rue Berger, dans le Quartier des spectacles, à Montréal, a été baptisée « l’allée du crack » en raison des consommateurs de drogues qui s’y rassemblent, notamment pour se rendre au centre d’injection supervisée de l’organisme Cactus. Dans les derniers mois, des locataires d’un immeuble adjacent ont fait les manchettes en dénonçant les diverses incivilités de la part des personnes qui fréquentent le centre : seringues souillées, excréments, détritus, menaces.

En savoir plus
  • 196
    Nombre de résidants du CHSLD Paul-Émile-Léger
    Source : Bonjour Résidences
    2 %
    Pourcentage de la population canadienne de 15 ans et plus ayant consommé de la cocaïne en 2019. Le crack est de la cocaïne sous forme de cristaux qui peuvent être fumés.
    Source : Enquête canadienne sur l’alcool et les drogues
  • 5 à 10 minutes
    Durée de l’effet intense ressenti après avoir fumé du crack
    Source : Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances