Je suis travailleuse sociale et psychothérapeute auprès de personnes en situation d’itinérance depuis plus de 20 ans et je fais également un doctorat sur la prise en compte des traumas dans l’intervention en itinérance. Présentement, j’ai choisi de mettre mes autres activités sur pause pour l’hiver, pour retourner travailler à temps plein directement auprès des personnes en situation d’itinérance, vu l’urgence des besoins.

En effet, la combinaison de multiples crises sociales simultanées, conjuguée à un manque de leadership et d’investissement gouvernemental, ainsi qu’à un manque de coordination des services, crée une situation de crise sans précédent au Québec, dont on ne peut voir que la pointe de l’iceberg dans la rue.

Aujourd’hui, si tu venais me voir dans l’organisme spécialisé en itinérance où je travaille avec une équipe fantastique cet hiver, parce que tu n’as nulle part où dormir ce soir, il serait improbable que, malgré toute ma bonne volonté, je te trouve un lit dans un des nombreux organismes qui font de l’hébergement d’urgence à Montréal. Ils sont tous pleins, depuis des semaines.

À force de persistance, certaines personnes arrivent à se trouver une petite place. Je parlais il y a peu à une femme qui était tout heureuse de me dire qu’elle avait maintenant un lit d’urgence, après sept jours à dormir, ou plutôt à ne pas dormir, sur une chaise en plastique dans une halte chaleur. Un autre jeune homme me confiait pour sa part, les yeux rougis par la fatigue et l’émotion, qu’il n’avait plus l’énergie d’essayer encore et de se faire dire tous les jours qu’il n’y a plus de place. Il dort maintenant dans sa voiture, même s’il a mal partout de ne jamais être allongé.

Il m’arrive trop souvent de ne pouvoir offrir qu’un référencement vers la file d’attente d’un refuge plein, à l’issue incertaine, ou des vêtements supplémentaires… pour une autre nuit dehors.

Une personne importante dans la planification des services en itinérance me disait récemment que dans notre ligne de services, on doit choisir entre la quantité et la qualité pour l’offre de service, puisque les ressources sont limitées, et qu’on a choisi la quantité pour arriver à donner le minimum à plus de personnes. Si nous avons choisi la quantité, nous échouons également à l’offrir. Chaque jour, il y a des personnes qui veulent dormir allongées, en sécurité et au chaud, que des intervenantes et des intervenants en itinérance doivent retourner à la rue.

Une offre insuffisante

Les services d’urgence sont tout à fait insuffisants pour soutenir véritablement une sortie de rue. Ils peuvent être traumatisants et doivent être repensés pour mettre de l’avant une qualité de service qui assure que les services offerts ne soient pas délétères. Mais ils doivent exister en quantité suffisante, comme un lieu de passage bref vers des services appropriés et vers du logement abordable. Présentement, nous échouons à court comme à long terme à répondre à l’itinérance avec toute l’humanité nécessaire.

Si nous ouvrons des places sur des chaises d’urgence les nuits de grand froid pour que personne ne meure gelé, je peux vous assurer que les gens continuent de mourir doucement du manque de chaleur humaine, qui fait qu’on accepte qu’ils vivent sans pouvoir prendre une pause de la précarité et de l’insécurité, même pour dormir la nuit.

Nous avons besoin des autres lorsque la malchance, la maladie ou l’effet des traumas nous rendent momentanément incapables de suivre le rythme de la société. Cette solidarité, ce soutien de nos familles, amis et communautés rendent possible que nos malheurs soient passagers et que nous puissions rebondir.

Les personnes qui se retrouvent en situation d’itinérance ont tout spécialement besoin que les services répondent présents, en quantité et en qualité, pour dépasser leur situation et la solitude qui l’entoure. C’est ce qui fait une société capable et solide, dont nous pouvons être collectivement fiers.

* La signataire est candidate au doctorat en travail social à l’Université McGill et est chargée de cours en travail social à l’Université de Montréal.

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