Cette semaine, j’ai rencontré des membres de l’APTS (Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux) pour parler de féminisme. La rencontre a eu lieu après la journée de travail, après le repas du soir, au moment où elles auraient dû être en train de se reposer.

L’APTS, qui fait partie du Front commun, compte 86 % de femmes. Le Front commun (dont fait partie l’APTS avec la CSN, la FTQ et la CSQ) compte 420 000 membres. Si on ajoute à ce chiffre la FAE et la FIQ, en grève aussi, on se trouve devant 575 000 travailleuses et travailleurs parmi lesquels entre 80 et 85 % de femmes. Je conjugue au féminin parce que, dans ce cas, le masculin ne l’emporte pas. En ce qui concerne le salaire et les conditions de travail, on le sait bien, ça se passe autrement. C’est bien le gouvernement québécois, avec à sa tête François Legault, qui tient les cordons de la bourse. Car si c’est une femme, Sonia LeBel, qui se trouve assise à la table de négociations, il faut se demander si c’est bien elle qui détient le pouvoir décisionnel, ou si, comme c’est trop souvent le cas, elle n’est qu’une messagère qui deviendra, quand le moment sera venu, la cible parfaite ?

Toutes ces femmes font la grève en même temps qu’elles la subissent. Parce qu’elles sont, elles aussi, comme vous et moi, des mères, des grands-mères, des proches aidantes. Parce que non seulement elles fournissent la multitude de soins dont notre société a besoin, mais elles continuent à les fournir dans leur vie privée même quand c’est jour de grève.

Elles sont enseignantes et infirmières, mais elles sont aussi, membres de l’APTS, techniciennes en laboratoire, psychologues, orthopédagogues, criminologues, psychoéducatrices, travailleuses sociales, génagogues, sociologues, opticiennes… L’APTS à elle seule compte 108 titres d’emplois, la majorité occupés par des femmes.

Ces travailleuses, ce sont les petites mains de l’ombre. Celles qu’on ne voit pas. Celles à qui on ne pense pas. Celles qu’on oublie. Celles que notre gouvernement déconsidère publiquement en ce moment. Elles sont le visage du travail invisible qui est fait, encore aujourd’hui et toujours majoritairement, par les femmes de notre société. Un travail sans lequel tout s’effondrerait. Un travail qui est le socle non seulement de notre contrat social, mais de nos vies singulières et de nos collectivités.

Cette grève, c’est une grève de femmes. C’est le moment où des femmes, collectivement, se voient forcées de descendre dans la rue pour défendre leurs droits : cesser d’être traitées comme la chair à canon d’un système malade.

Où elles se placent en travers d’un chemin qui se dessine de plus en plus clairement vers une privatisation de nos services sociaux. Un chemin qui se dessine droit devant, et qui est pavé des plus mauvaises intentions en ce qui concerne la vie des femmes.

Faire la grève, ce n’est pas rien faire. Bien au contraire. En ce moment, les jours de grève, ces travailleuses continuent à s’occuper des enfants, malades et bien portants, les leurs ou ceux de leurs collègues. Elles s’occupent de leurs parents vieillissants ou de proches dont elles subviennent aux soins. Elles continuent à faire ce qu’elles font tous les jours de leur vie et qui se trouve inscrit sur la liste toujours à recommencer de ce dont elles sont responsables, physiquement et mentalement : les aliments à acheter en vue des repas à préparer, les vêtements à laver, le ménage à faire, les maux à soulager, les larmes à essuyer, les colères à calmer, les anecdotes et les confidences à écouter. Elles le font tous les jours, après la grève, le corps endolori, frigorifié, la tête épuisée et inquiète : ce conflit va-t-il se régler ? Va-t-on un jour reconnaître mon travail ?

Aristophane, le dramaturge grec, avait imaginé une grève du sexe. Il l’avait fait, dans un esprit comique, comme une manière féminine de s’opposer à la guerre. Fanny Britt et Alexia Bürger, elles, ont réécrit cette histoire en l’imaginant aujourd’hui comme une grève de la procréation pour résister à un gouvernement qui ne fait rien en ce qui concerne la crise climatique.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

La présidente de la FTQ Magali Picard devant l’hôpital Notre-Dame, au début du mois

On tape sur la tête de Magali Picard (la seule femme parmi les quatre dirigeants syndicaux qui se trouvent au front de cette grève) parce qu’elle comptait participer à la COP28. Ironique, non ? La crise climatique, on le sait, a et continuera à avoir des conséquences particulièrement importantes sur les femmes de cette planète. Sur toutes celles qui donnent des soins. Cherchent où puiser de l’eau. Comment nourrir les leurs. Comment les loger. Comment les protéger.

Si un voyage à Dubaï ne fait pas bonne figure en temps de grève, reste que le fond des choses est vrai : les femmes payent et elles vont continuer à payer tant et aussi longtemps qu’on ne reconnaîtra pas la valeur de ce qu’elles font. Dans leur milieu de travail et à la maison.

D’ailleurs, si notre premier ministre est véritablement un « bon père de famille », ne doit-il pas s’assurer que le travail de celles qui subviennent aux soins essentiels soit non seulement correctement rémunéré, mais qu’il soit reconnu, par lui et par son gouvernement ? Manière de s’assurer que ce travail invisible soit enfin rendu visible pour les yeux de toute la population qui, sans s’en rendre compte, en bénéficie tous les jours de sa vie.

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