Selon le dictionnaire Larousse, le mot fade est un adjectif qui signifie un manque de saveur, synonyme de douceâtre, fadasse, insipide…

Ce pourrait bien être aussi la meilleure façon de décrire les mois de janvier et de février, surtout lorsque la neige n’est pas au rendez-vous.

Vous me permettrez de parler ici de janvrier : certains font la contraction de jeudi et vendredi pour justifier toutes sortes d’excès, mais personne, à ma connaissance, n’a songé à créer la contraction de ces deux mois pour mieux définir notre état morose et déprimé dans ce creux de l’année.

Je dois l’avouer, malgré les plaisirs du ski, du patin en famille, des 6 km que je cours dehors chaque jour, je trouve que janvrier ne goûte rien. C’est comme un gros Monday Blues de 59 jours… oups ! 60 jours cette année.

Non seulement l’euphorie des Fêtes est terminée, mais en plus, la fébrilité du début de la nouvelle année est déjà tombée dans l’oubli. La grisaille tant sur le plan climatique que socio-politico-économique trouve son chemin dans nos têtes et dans nos cœurs. Et qui plus est, dans nos paniers d’épicerie.

Même avec des rabais (quand il y en a, ou surtout quand les gros acteurs de l’alimentation essaient de nous faire croire qu’il y en a), les fruits, les légumes goûtent que dalle.

Quand, à l’aveugle, tu te demandes si c’est du chou ou de la laitue que tu manges…

Ou encore quand tu penses acheter des fraises de qualité, parce qu’elles sont bio et en solde, mais qu’elles goûtent encore moins la fraise que l’essence artificielle de fraise…

Je pense que comme consommateurs, on est en droit de se poser des questions. Je dirais même plus, comme êtres humains, habitants de cette planète, on a le devoir de s’interroger.

Pourquoi avoir accès à ces aliments, dans des périodes ou non seulement la raison, mais en plus la non-saveur de ces produits nous crient l’inverse ?

Y avoir accès, selon moi, c’est l’écho d’un ego social démesuré.

Si, du fait de mon métier, tout passe d’abord par le goût, j’aime autant vous dire qu’actuellement, pas grand-chose ne passe bien.

Provisions salvatrices

Heureusement, à la maison, nous nous rabattons sur les provisions du potager estival, des herbes conditionnées et surgelées pour agrémenter les repas. L’ail, les oignons et les échalotes sont, quand cela est possible, tressés puis mis en entreposage dans un endroit sec de la maison, me permettant ainsi de donner une plus-value au menu de la maisonnée.

Pour les légumes, même si parfois, cela peut sembler être plus une corvée qu’autre chose, la confection de diverses marinades, condiments ou fermentations tels que les relish, les chutneys, les pickles et les kimchis (pour ces derniers, c’est seulement si ma conjointe ne passe pas au travers avant que j’aie pu les mettre en conservation), voire diverses variantes de choucroutes, me permettent toujours d’apporter quelque chose d’ensoleillé, de savoureux dans la vie de famille.

Les confitures de fruits et les purées nous réchauffent l’âme en nous rappelant que les filles et moi avons cueilli la matière première de ces tartinades sous un soleil torride, mais ô combien nourrissant.

Je sais et je comprends que cela nécessite temps, espace, argent. Seulement, il y a quelque chose de satisfaisant et de gratifiant à voir et surtout goûter le changement apporté à une réalité hivernale plutôt beige.

Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de la décroissance, mais plutôt d’avoir un réel questionnement introspectif sur les impacts de la croissance économique en termes d’environnement, de société et d’humanité.

Ce goût éteint devrait devenir le canevas sur lequel est peinte une réflexion sur nos façons de choisir dans un système qui ne restreint pas les choix, mais les accroît plutôt sans cesse.

Si, pour paraphraser un collègue, trop de goûts tue le goût, alors il semble que ce soit pareil pour les choix. Devant ce non-goût qui en est devenu un amer, je ne sais rien, ou plutôt je ne sais plus comment aider à faire changer, avancer, évoluer les choses…

Peut-être la clé réside-t-elle justement dans le fait d’admettre que nous ne savons pas, que nous ne savons plus comme société.

Comme le demandait si sagement Socrate : avoir des certitudes empêche-t-il notre pensée d’évoluer ? Il semble que oui.

Je dis qu’il est temps de penser et de réfléchir collectivement pour que, comme êtres vivant en société, nous soyons en mesure de changer, d’évoluer et de finalement nous réapproprier la saveur de choix plus éclairés et sensés. Goûtons le vrai.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue