Lettre en forme de témoignage où il est question de diversité de genres, de pédagogie et d’épanouissement

J’enseigne depuis 18 ans. J’ai tenté et tente toujours d’agir selon l’idée que je me fais de la meilleure pédagogie. J’exerce mon métier avec le plus de modestie possible.

J’aime aussi faire ce que le sociologue François de Singly appelle « changer de taille » : me mettre en mode écoute et mettre l’autre en position de m’enseigner quelque chose. J’ai beaucoup appris de mes classes et des personnes qui les composent. K a fait partie d’elles. K est la première personne trans non binaire à qui je pense avoir réussi à assurer un cadre sécuritaire dans ma classe. C’était bien avant la présente déferlante transphobe.

K ne m’avait rien demandé. Iel avait simplement inscrit dans le questionnaire que je distribue en début de trimestre : « Je m’appelle K et mon pronom est iel. » K m’offrait alors la possibilité d’apprentissages : j’apprenais la présence, dans mes classes et dans la société, d’une autre façon de vivre son genre. C’était ma capacité à admettre la validité d’une existence humaine et sociale qui était interpellée. La note de K élargissait le champ des possibles, ni plus ni moins.

Comment ne pas sentir la joie qu’il y a à faire exister dans la lumière et dans l’amour ce que n’avait pas conçu jusqu’alors mon esprit enfermé dans les habitudes et les normes sociales ? Je le sais maintenant : le contact avec K, nos échanges ont ensuite ouvert la voie à une meilleure connexion avec moi-même.

Je sais désormais l’extrême importance de se faire désigner au moyen du prénom et du pronom avec lesquels on souhaite se faire appeler. J’ai vite compris que j’allais sans doute faire des erreurs, mais que les ajustements apportés volontiers à mes pratiques représentaient une somme d’efforts assez… minimes. Je ne soupçonnais pas ce que j’éprouve depuis dans tout mon être : que ces menus efforts peuvent avoir un immense effet bienfaisant sur le bien-être intérieur et social des êtres !

J’ai appris à ne pas présumer du genre des personnes en vertu des noms qui figurent sur mes listes de classe ou de leur performance de genre. J’ai appris à employer le pronom « iel » et à dépasser le premier effet que produit le fait de simplement sortir de ses automatismes. L’emploi de ce pronom fonctionne comme toutes les autres pratiques inclusives : il vise à favoriser le bien-être de tout le monde. Il s’agit de pratiques qui ouvrent les bras plutôt que de les fermer. Je sais depuis que ces petits gestes font plus : ils préviennent le décrochage scolaire. Mieux : ils préviennent le suicide. Cumulées dans le parcours et dans les jours des personnes trans, ces pratiques contribuent à sauver des vies, carrément.

La réaction rétrograde actuelle à l’égard des pratiques d’inclusion est incroyablement mesquine, violente, odieuse. Elle est tout le contraire de l’accueil généreux dont devrait faire preuve toute personne en situation de pouvoir à l’endroit des êtres qu’elle soutient dans leurs apprentissages.

Une éthique pédagogique implique de prendre en considération le fait que les êtres sont des sujets en devenir et que nous devons les accompagner dans cette aventure. Une véritable pédagogie doit être axée sur l’épanouissement de sujets en train de développer un rapport sain et critique à eux-mêmes, aux autres, aux milieux où iels se trouvent et aux pouvoirs qui traversent ces milieux. Une telle pédagogie est intimement liée à la notion d’autodétermination qui consiste en la capacité pour un sujet, individuel et collectif, d’intervenir sur les conditions de son existence et de son épanouissement.

Une pédagogie inclusive n’est rien de plus que le prolongement d’une pédagogie qui vise à soutenir la capacité de l’autre de s’autodéterminer, de s’autodésigner, de se subjectiver et de se découvrir capable de réalisations qu’iel ne croyait parfois même pas accessibles.

Toute autre pédagogie n’est pas seulement incomplète, mais une erreur, sinon une négligence, voire une violence.

Avec K, j’ai appris et j’apprends toujours à ouvrir mon cœur. Si mon métier a du sens pour moi, c’est dans la mesure où il relève d’une relation aimante. Toute relation d’aide qui ne s’efforce pas d’être une relation aimante est déficiente, insatisfaisante, humainement pauvre, potentiellement dangereuse.

Merci, K.

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