« Vingt ans à fumer la cigarette, deux ans sans en toucher une seule grâce au vapotage », m’a écrit Martin, un lecteur, à la suite d’une chronique dans laquelle je dénonçais l’insolence de certains acteurs de l’industrie du vapotage qui contournent les nouveaux règlements destinés à en freiner l’essor1.

J’ai reçu plusieurs témoignages similaires. La cigarette électronique vous a aidé à vous affranchir de la vraie cigarette. Vous voulez continuer à pouvoir l’utiliser – y compris en vapotant des arômes autres que celui du tabac qui vous rappelle votre ancienne dépendance.

OK. Je peux comprendre.

Les études suggèrent en effet que la cigarette électronique est un moyen plus efficace que d’autres pour arrêter de fumer (même si les données sont limitées et que ces études sont souvent menées sur des fumeurs qui bénéficient d’un suivi médical plus serré que la moyenne).2

Là où je décroche, chers lecteurs, c’est lorsque vous utilisez votre expérience positive avec la cigarette électronique pour défendre les façons de faire de l’industrie.

J’ai deux nouvelles pour vous. La première, c’est que les fabricants et les vendeurs de produits de vapotage se moquent de la santé de leurs consommateurs. La deuxième, c’est que les bouffées qu’inhalent les amateurs de cigarettes électroniques ne sont pas les beaux nuages inoffensifs qui sentent bon qu’on tente de nous faire croire.

Commençons par le premier point. Il y a longtemps que l’industrie du vapotage ne se contente plus de cibler les ex-fumeurs. À coups de pratiques de marketing et d’entourloupettes pour contourner les règlements, elle embarque de plus en plus de jeunes dans la dépendance à la nicotine. Et pour fidéliser la clientèle, la dépendance fonctionne encore mieux que les Air Miles.

L’Institut de la statistique du Québec vient de montrer que la proportion de vapoteurs continue de progresser dans la province, notamment chez les jeunes3. Chez les 15-24 ans, c’est maintenant une personne sur cinq qui vapote. Du lot, une sur deux le fait tous les jours, et une sur trois se dit « assez ou très dépendante ».

On n’est pas ici en train de régler un problème. On est en train d’en créer un de toutes pièces.

« On est préoccupés par l’engouement des jeunes pour la cigarette électronique parce qu’au départ, les jeunes ne sont pas des fumeurs », dit Annie Montreuil, chef d’équipe Tabagisme, unité produits et substances psychoactives à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

PHOTO GABBY JONES, ARCHIVES BLOOMBERG

Selon les récentes données de l’INSPQ, chez les 15-24 ans, c’est maintenant une personne sur cinq qui vapote. Du lot, une sur deux le fait tous les jours.

Bof, direz-vous. Le vapotage n’est-il pas inoffensif comparativement à la cigarette ? Ça nous amène au deuxième point.

Il est vrai que dans une cigarette, ce sont les produits de la combustion du tabac et non la nicotine qui causent des dommages. Mais plus on en apprend sur le vapotage, plus on comprend que les bouffées de cigarettes électroniques ne sont pas des nuages de Calinours.

« Ça peut contenir une belle petite soupe chimique, cette histoire-là », dit le DStéphane Perron, médecin-conseil à la Direction de la santé environnementale de toxicologie et du travail de l’INSPQ.

On sait que certains arômes sont cancérogènes ; ils sont utilisés quand même. On sait que certains arômes sont des irritants pulmonaires forts ; ils sont utilisés quand même.

Le DStéphane Perron, médecin-conseil à l’INSPQ

Fait méconnu, certaines mèches de vapoteuse dégagent aussi des particules de métaux lourds comme le nickel, le plomb, le chrome ou le cuivre. La concentration inhalée – et diffusée autour – peut dépasser des centaines de fois les normes environnementales, selon l’expert.

Le Dr Perron trouve ironique qu’on se préoccupe des émanations industrielles comme celles de la fonderie Horne ou de Glencore au port de Québec (avec raison, insiste-t-il !) tout en oubliant celles des vapoteuses.

Des lésions graves

Stéphane Perron vient de publier un article scientifique qui décrit six cas de maladies pulmonaires associées au vapotage survenus au Québec en 2019 – des lésions graves qui peuvent nécessiter une admission aux soins intensifs4.

L’article montre que ces cas sont survenus avec des produits légaux et qu’ils n’impliquent aucun des suspects habituels : l’acétate de vitamine E et le THC du cannabis.

« La conclusion, c’est qu’on ne sait pas ce qui cause ça », dit le Dr Perron. Ça n’a rien de rassurant.

« Les manifestations graves sont rares, c’est vrai, convient l’expert. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est l’ampleur des gens qui ont des manifestations moins sévères. On a une pointe d’iceberg de gens affectés très sévèrement, mais on ignore ce que ça cache. »

Dans les années 1970 et 1980, les méfaits de la cigarette étaient systématiquement minimisés. Il a fallu des décennies pour les documenter. Veut-on vraiment prendre le risque de commettre la même erreur en hypothéquant une génération avec le vapotage ?

Québec est conscient du problème et a agi fermement, notamment en interdisant les arômes qui rendent les produits de vapotage si attrayants pour les jeunes. Mais une partie de l’industrie rit au nez du gouvernement et contourne les lois avec une intolérable insolence. Elle vend par exemple des produits neutres comme l’exige la loi… et des arômes juste à côté.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le gouvernement du Québec a interdit, l’an dernier, la vente des arômes qui rendent les produits de vapotage si attrayants pour les jeunes.

Il est évident qu’il faut serrer la vis aux délinquants.

Oui, les ex-fumeurs peineront à trouver les arômes qui leur plaisent si les règlements sont appliqués. Mais Annie Montreuil, de l’INSPQ, rappelle qu’ils ont d’autres options sous la main, notamment des vaporisateurs et des inhalateurs qui viennent en plusieurs saveurs.

Je trouve en tout cas troublant de voir d’ex-fumeurs qui ont été victimes de l’industrie du tabac s’opposer à ce qu’on agisse pour protéger les nouvelles générations des mêmes intérêts commerciaux. L’idée n’a jamais été d’interdire le vapotage, mais de le rendre moins attrayant et moins accessible aux nouveaux consommateurs.

« Tu ne peux pas vendre ça comme si c’était du bonbon, résume le Dr Perron. Parce que ce n’est pas ça du tout. »

L’industrie fait tout un show de boucane en nous faisant croire qu’elle commercialise une solution. On n’est pas obligé de se faire aveugler par la fumée.

1. Lisez la chronique « Les délinquants du vapotage » 2. Lisez un article scientifique de Cochrane 3. Lisez « Le tabac et les produits de vapotage : quelles sont les habitudes de consommation au Québec en 2023 ? » sur le site du gouvernement québécois. 4. Lisez l’article scientifique de Stéphane Perron Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue