La hausse de 91 $ de la taxe sur l’immatriculation, qui passera à 150 $ par véhicule dans le Grand Montréal, est salée. Elle fait beaucoup réagir.

Elle pourrait toutefois être moins impopulaire qu’on pense, si elle est bien expliquée.

La Chambre de commerce du Montréal métropolitaine s’est ajoutée lundi aux opposants à cette hausse, estimant qu’elle est « démesurée et sans précédent » et que ce « n’est pas une solution raisonnable » aux problèmes de financement du transport collectif.

« Depuis deux ans, on a triplé la taxe d’immatriculation alors qu’on n’améliore pas le service », dit Michel Leblanc, PDG de la Chambre de commerce, en entrevue. « Un fournisseur privé ou Hydro ne pourrait pas faire ça. Certains automobilistes n’ont pas de transport collectif dans leur coin, mais ils paient la même hausse. »

Voyons ça de plus près.

C’est vrai que la hausse est « sans précédent ». Mais il faut la mettre en contexte.

Les Montréalais paient une taxe d’immatriculation de 45 $ par véhicule pour financer le transport collectif depuis 2011. En 2024, la taxe s’étend aux villes du 450 et passe à 59 $ (c’est l’indexation depuis 2011). En 2025, elle passera à 150 $. Pourquoi ? Depuis la pandémie, en raison du télétravail, les revenus des sociétés de transport collectif ont chuté. (À Montréal, le Réseau express métropolitain, qui ne partage pas ses revenus avec les autres sociétés de transport collectif, est aussi venu cannibaliser certains revenus.)

Jusqu’à maintenant, le gouvernement du Québec a assumé ce manque à gagner. À moyen terme, il ne veut plus le faire. Le gouvernement Legault négocie pour en éponger une partie, pour trois ans seulement.

Québec laisse aux villes l’option de hausser la taxe sur l’immatriculation pour boucler le budget des sociétés de transport. Les élus du Grand Montréal ont voté jeudi dernier pour le faire.

Au final, c’est le même contribuable-automobiliste qui paie la facture. Or, au cours des dernières années, le contribuable-automobiliste du Grand Montréal a reçu plusieurs fois les 91 $ de plus qu’il lui en coûtera pour immatriculer son auto. Voici comment.

370 $

Baisse d’impôt moyenne par an pour un contribuable québécois à partir de l’année 2023. Avec une partie de ces baisses d’impôt, le gouvernement Legault aurait pu mieux financer le transport collectif, entre autres éponger le déficit des sociétés de transport. Franchement, ç’aurait été la meilleure solution, plus juste socialement. Plus vous êtes riche, plus vous payez d’impôt provincial. La taxe sur l’immatriculation est moins juste : tout le monde paie 150 $ par véhicule, peu importe son revenu.

61,78 $

Baisse du coût annuel d’un permis de conduire entre 2021 et 2024. Il est passé de 87,28 $ à 25,50 $. Le gouvernement Legault a pris cette décision entre autres parce que le fonds d’assurance de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) était en excellente santé financière. En vertu de la loi, Québec ne peut pas affecter les surplus de la SAAQ au transport collectif.

167 $

La taxe fédérale sur l’essence est gelée à 10 cents le litre depuis 1995, la taxe provinciale sur le carburant à 19,2 cents le litre depuis 2013. En dollars réels, les automobilistes paient chaque année un taux moins élevé de taxes sur le carburant, en raison de l’inflation. Si les deux taxes avaient été indexées, un automobiliste québécois paierait en moyenne 167 $ de plus par année en taxes spécifiques sur l’essence1. Sans s’en apercevoir, car ces taxes sont perçues sur le prix à la pompe.

La hausse de 91 $ de la taxe sur l’immatriculation dans le Grand Montréal est-elle « démesurée » et déraisonnable, comme le dit la Chambre de commerce ? Non.

Ce n’est pas la solution idéale. Mais dans les circonstances, à court terme, c’est la « moins pire » des solutions.

S’il y a une entente avec Québec, la hausse sera diminuée du montant qui sera absorbé par le gouvernement Legault.

Sans entente satisfaisante avec Québec, les villes sont placées devant trois options pour l’an prochain : hausser la taxe sur l’immatriculation, financer elles-mêmes davantage le transport collectif (traduction : une hausse de taxes foncières) ou réduire les services de transport collectif.

Réduire les services est le pire des scénarios. C’est une spirale vers le bas : moins de services, encore moins d’usagers, encore moins de revenus, il faut supprimer d’autres services, encore moins d’usagers, et ainsi de suite.

Y a-t-il d’autres solutions ?

Québec pourrait augmenter de façon importante la taxe sur l’essence spécifiquement dans le Grand Montréal qui contribue à financer le transport collectif (elle est actuellement de 3 cents le litre). La Coalition avenir Québec refuse malheureusement de le faire.

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain note que les employés municipaux sont payés en moyenne 36 % plus cher que les employés provinciaux. C’est vrai, ça mérite une réflexion sérieuse. Mais à court terme, les sociétés de transport ne peuvent pas rouvrir leurs conventions collectives.

Par contre, elles peuvent continuer à couper dans le gras. En 2024, elles ont réduit leurs dépenses de 86 millions par an sans toucher aux services.

Expliquer l’objectif

La hausse de la taxe sur l’immatriculation fera bougonner de nombreux automobilistes.

Mais peut-être moins qu’on le croit.

En 2013, un institut de recherche universitaire a sondé les Américains sur leur appui à une hausse de 10 cents de la taxe sur l’essence2. Quand on leur mentionnait que la hausse servirait à financer les transports en général, seulement 23 % d’entre eux appuyaient cette hausse.

Quand on leur disait que cette hausse servirait à un objectif précis, le taux d’appui était toujours d’au moins 50 %. Environ 53 % des Américains appuieraient la hausse si l’objectif était de réduire la pollution locale, 62 % si c’était de maintenir l’état des routes et 67 % si c’était pour améliorer la sécurité routière.

Quand ce genre de taxe est bien expliqué, la majorité des automobilistes n’ont pas l’air de trop bougonner.

1. Source des données pour le calcul : État de l’énergie au Québec 2024

2. Consultez les résultats de l’étude (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue