Radio-Canada nous apprenait récemment qu’au soulagement de plusieurs, le refuge du Complexe Guy-Favreau, « qui dérangeait » les voisins, sera fermé sous peu.

Cet endroit accueille majoritairement des personnes qui ne peuvent pas aller dans plusieurs refuges parce qu’elles consomment, ont un animal, veulent rester avec leur partenaire ou ont eu des difficultés dans d’autres refuges.

Le répit du voisinage risque toutefois d’être de courte durée, s’il existe : les personnes en situation précaire ne cessent pas d’exister parce qu’on tente de les soustraire de l’espace public. Au contraire, leur souffrance peut se faire plus visible et audible quand on les prive encore d’un début d’ancrage, d’autant plus précieux quand on n’a pas d’endroit à soi où se poser, et qui peut être un tremplin vers la sortie de l’itinérance.

Mais ici, on ne parle pas d’une fermeture autant que d’un autre déplacement.

Lisez l’article « Complexe Guy-Favreau : le refuge sera déménagé “dans le même quartier” »

La relocalisation du refuge est planifiée pour se faire dans le quartier, secteur où plusieurs autres refuges refusent déjà régulièrement des gens, faute de place.

Planifier à long terme

Le manque de stabilité n’est pas l’affaire que des personnes en situation d’itinérance : il touche aussi plusieurs organismes qui tentent de les soutenir et se butent aussi à des défis de cohabitation et de soutien suffisant et pérenne. La survie du refuge du Complexe Guy-Favreau a longtemps été reconsidérée à coup de quelques mois de sursis.

L’organisation des réponses en mode urgence à une itinérance en augmentation à Montréal ne favorise pas la planification à long terme et la dispensation des services coordonnés, qui sont nécessaires pour qu’un refuge soit un endroit de sécurité et de passage vers plus de stabilité.

Certains acteurs du quartier estiment que les réponses actuelles aux difficultés dont ils sont témoins ne sont pas susceptibles d’améliorer les choses. Interrogée pour l’article, la coordinatrice de la Table ronde du Quartier chinois disait qu’il faut à la fois « comprendre les causes pour trouver une solution à long terme, globale et efficace », mais aussi que les résidants du quartier « comptent les minutes » avant la fermeture, qu’ils veulent un « soulagement immédiat ». Peut-on même croire à l’avènement de ce soulagement sans des solutions justes, holistiques, diversifiées et à long terme ?

Témoin de la souffrance

Être témoin de la face visible de l’itinérance est certainement difficile pour les résidants qui ont un toit. Il faudrait n’avoir aucune empathie pour ne pas être dérangé par le son impossible à ignorer d’une personne qui hurle sa détresse devant chez soi ou qui fait sécher ses quelques biens sur la largeur d’un trottoir.

Il peut être tentant d’envoyer ce qui nous dérange, ou nous blesse, plus loin. Toutefois, l’itinérance, si elle n’est pas considérée à ses racines, ne peut que devenir plus présente, visible, dérangeante, inacceptable.

Et il ne faudrait pas oublier que les personnes qui en souffrent le plus ne sont pas celles qui en sont témoins, mais celles qui la vivent.

Nous pouvons lutter contre l’itinérance sans lutter contre les personnes. Notre filet social a grand besoin d’être recousu, et l’itinérance est un témoignage de ses failles : les refuges ne devraient pas servir à épargner les yeux des citoyens domiciliés de la souffrance des autres.

Si on souhaite réduire l’itinérance visible dans sa cour sans l’envoyer dans celle des voisins, nous devrons accepter de reconnaître notre responsabilité collective dans la prévention de l’itinérance et dans l’offre de solutions de remplacement viables à la rue, et réfléchir le monde pour que tout le monde trouve sa place.

Sans justice, il n’y aura pas de paix.

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