L’auteur s’adresse au directeur du MAC, aux conservatrices et conservateurs de l’art contemporain, aux membres du comité d’administration et aux membres de la Fondation du MAC

Fermer pendant près d’une décennie un musée essentiel à notre nourriture intellectuelle et sensible, à notre culture commune, est une vraie honte. De votre fabuleux projet architectural, je ne veux plus ; de votre cathédrale, je ne veux plus ; de vos espaces impressionnants et majestueux, je ne veux plus. De vos murs blancs que vous allez colorer pour créer des scénographies d’expositions, je ne veux plus.

De vos grandes salles de réception, je ne veux plus. De vos ouvertures architecturales sur la ville, je ne veux plus. De vos bureaux spacieux, je ne veux plus. De votre entrée sur la rue, je ne veux plus ; je la trouverai, faites-moi confiance. Arrêtez immédiatement ce projet insipide et interminable et rentrons à la maison.

Rouvrez mon musée. Accueillez-moi bien et montrez-moi ce qu’ailleurs, je n’aurais pas remarqué. Faites partie de ma vie et animez-moi. Faites-moi rêver.

Quelle déception de constater qu’une génération entière d’artistes d’ici aura été sacrifiée dans un projet mal planifié, grossièrement exécuté sans réelle vision de l’avenir. Un projet orgueilleux et déconnecté de ses publics. Quand vous ouvrirez votre projet architectural remarquable, nous constaterons qu’il est déjà trop petit et qu’il sera toujours impossible de montrer une partie raisonnable de la collection. Quand vous ouvrirez votre chapelle, nous constaterons le nombre d’artistes qui ne pourront pas être montrés une première fois, laissés à eux-mêmes et sans guides, à votre public toujours fidèle.

Quand vous ouvrirez le musée, nous ne ferons pas un bond dans le temps. Nous repartirons à zéro. Nous serons désillusionnés et déçus même si nous n’oserons pas trop le dire. Les fêtes et les feux d’artifice nous ferons croire que c’est un grand jour, mais secrètement nous saurons que pour le plaisir flamboyant de quelques-uns nous aurons manqué à notre engagement de montrer l’art d’ici et d’ailleurs qui nous rendra meilleurs, plus ancrés dans notre époque.

Soixante ans dans les cartons

Ce sont les artistes du Québec qui, en 1964, ont voulu ce musée. (Je sens que nous allons passer le 60e anniversaire dans les cartons.) Je me souviens encore, jeune homme, d’être monté à bord d’un autocar et d’être parti de Sherbrooke en excursion pour découvrir cette magnifique exposition de Rouault, la toute première exposition du Musée d’art contemporain de Montréal (MAC). Toute ma vie j’ai aimé ce musée. Je l’ai toujours voulu dynamique, aventurier, ouvert, instruit de tout ce qu’il fallait voir. Ce musée m’a aimé, je le reconnais sans détour et je l’apprécie et je lui en suis pleinement reconnaissant. Je voudrais qu’il en soit de même pour tous les artistes qui souhaitent être inventeurs de l’avenir, engagés au plus profond dans une conscience citoyenne de ce qu’il faut accomplir et porteurs de valeurs essentielles à notre société ; tous les artistes qui font de l’art pour que la culture existe.

Si j’avais senti que les idées bouillonnaient dans les esprits de ceux et celles qui sont mandatés pour faire vivre ce musée, je n’aurais pas écrit cette lettre dont je remets l’exécution de jour en jour, de mois en mois, d’année en année. Si j’avais vu ces personnes investir plein de lieux nouveaux, faire voir des créations inusitées, créer des évènements remarquables, faire la promotion d’artistes d’ici partout où ils ont des contacts, j’aurais été patient et rempli d’espoir, attentif à ce qui allait advenir.

Notre Musée d’art contemporain se contente de squatter de petits, mais hyper chics espaces commerciaux pour donner l’illusion qu’il fait ses devoirs.

Nous ne sommes pas dupes. Le Centre international d’art contemporain de Montréal (CIAC) à l’époque où il pouvait survivre faisait 100 fois mieux avec 100 fois moins de moyens. La Galerie de l’UQAM, le Centre Phi, la Galerie Leonard & Bina Ellen, La Poste, Le Musée d’art de Joliette, pour ne nommer que ceux-là, ont une visibilité beaucoup plus grande et une action plus porteuse. Pourtant, tous ces lieux n’ont pas la grande histoire du MAC, ni ses moyens, ni son expertise.

Artistes de toutes les disciplines, levez-vous. Historiennes et historiens de l’art, prenez la parole. Publics convaincus et convaincants, réveillez-vous ; il faut arrêter la parade. On mesure mal le tort et les manques pourtant prévisibles que cette contraction d’un musée essentiel génère pour notre société et pour ses futurs artistes.

* Prix Paul-Émile-Borduas, prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques, membre de l’Académie royale des arts du Canada, membre de l’Ordre du Canada, docteur d’honneur de l’Université de Sherbrooke, membre de l’Ordre du Canada, officier de l’Ordre national du Québec, commandeur de l’Ordre de Montréal, prix Samuel de Champlain, France-Amériques

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