Une véritable offensive, voilà comment on peut qualifier l’intensification des publications de l’Alliance nouvelles voies depuis quelques mois. On les retrouve partout. Dans les journaux, sur les panneaux publicitaires, à la télé et sur nos réseaux sociaux. Même les stations de BIXI en sont la proie !

Mais de qui s’agit-il et de quoi parle-t-on ? À première vue, en lisant le nom, vous vous demandez peut-être s’il ne s’agit pas de la dernière église en vogue ou du plus récent réseau d’information « alternative » canadien. Dans les faits, on n’en est peut-être pas si loin…

L’Alliance nouvelles voies (Pathway Alliance, en anglais), c’est le consortium regroupant les six principaux producteurs de sables bitumineux canadiens : Canadian Natural, Cenovus Energy, ConocoPhillips Canada, Imperial, Meg Energy et Suncor Energy.

On parle ici des principaux représentants du secteur qui a connu à lui seul une augmentation de ses émissions de gaz à effet de serre de 437 % entre 1990 et 2020. Ça vous paraît énorme ?

Une récente étude laisse pourtant entendre que les émissions du secteur des sables bitumineux pourraient même être 65 % plus élevées que ce qui est rapporté par l’industrie !

Quatre de ces entreprises font aussi partie du top 5 des entreprises pétrolières et gazières ayant enregistré des profits records dans les deux dernières années ; 40 milliards rien que pour 2022. De plus, pendant la même période, l’industrie fossile est celle qui a aussi le plus bénéficié de l’inflation au pays.

Et malgré tout cet argent, investissent-elles dans des actions pour réduire leurs émissions ? Non, elles préfèrent plutôt l’utiliser pour diriger des campagnes de désinformation… et nous convaincre qu’elles agissent. Elles mènent aussi un lobbyisme intensif contre toute velléité de politique climatique que le fédéral veut mettre en place, si petite soit-elle.

Leur slogan actuel : « C’est clair, on avance à grands pas. » Leur objectif ? Démontrer à grands coups de publicité qu’elles font les efforts nécessaires pour atteindre la carboneutralité en 2050. Leur principal outil pour y arriver ? Les technologies de captation et de stockage du carbone (CCS).

Regardons-y de plus près. Ces technologies ont un rôle dans les scénarios d’atténuation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), c’est vrai, mais pour « contrebalancer les émissions résiduelles difficiles à éliminer »⁠1. Les deux mots à retenir ici sont « résiduelles » et « difficiles ». Ce qu’il faut en comprendre, c’est que ces technologies pourraient avoir leur place une fois le vrai travail de réduction des émissions accompli et dans des secteurs où la décarbonation des processus industriels est encore difficile à court terme comme pour la production d’acier par exemple.

Insidieux détournement

Or, quand on regarde l’argumentaire de l’Alliance nouvelles voies, on ne peut que constater l’insidieux détournement qui est fait de ces technologies au profit du maintien du statu quo et de l’expansion de la production. Ne soyons pas dupes ; si on produit, c’est pour utiliser ces énergies et donc les brûler. Et ce qu’on ne vous dit surtout pas, c’est que 80 % des émissions du secteur se produisent à la combustion. On est loin de la réduction « immédiate et draconienne » que demande la science, car pour avoir encore une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici 2100, il faut minimalement réduire les GES de 6 % par an dès aujourd’hui.

Et tout cela, c’est sans parler des autres nombreux enjeux entourant l’implantation de ces technologies : l’énergie que nécessite leur fonctionnement, une surutilisation de l’eau pour le refroidissement, des doutes quant à l’étanchéité réelle des puits de stockage de CO2 et leur coût.

Pourtant, leurs arguments trouvent écho, particulièrement au gouvernement fédéral. Si l’argent parle, c’est plus de 2 milliards de dollars que ce dernier a débloqués dans les dernières années pour le développement des CCS. Lors de l’approbation de Bay du Nord, elles ont également été mises de l’avant par le ministre de l’Environnement et des Changements climatiques pour l’atteinte de la carboneutralité du projet en 2050. Enfin, elles sont une des six exemptions à l’arrêt des subventions jugées « inefficaces » au secteur fossile annoncé en grande pompe le mois dernier.

Le prochain jalon que doit poser Environnement et Changement climatique Canada pour encadrer les émissions de GES du secteur des énergies fossiles est le fameux projet de plafonnement et de réduction des émissions de l’industrie. Pensez-vous que ces technologies en seront exclues ? La réponse à cette question est entre les mains du ministre…

1. Lisez « Climate Change 2022 – Mitigation of Climate Change » (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion