Nous nous sommes mis à parler lors des funérailles d’une personne que nous avions côtoyée personnellement et professionnellement à des périodes différentes. Nous avons discuté et constaté conjointement certains faits inéluctables à quiconque fournit des soins. Cette personne dont c’était les obsèques nous avait choisis pour l’accompagner soit dans les épreuves de la maladie, soit dans les attentes difficiles de la fin de vie.

Par contre, il y a de fait peu de réels choix quand on a un diagnostic de cancer. Aucune option, aucun soignant ne peut donner l’assurance d’une efficacité, de qualité de vie, de poursuivre ses désirs et ses projets. Des chiffres, des statistiques, des espoirs nécessairement déçus, des plans contrecarrés, des sentiments en proie aux ondes de choc.

Et bien sûr, faire face aux opinions divergentes de l’environnement et de l’internet, aux insistances de chercher mieux, aux impressions de ne pas retirer de la médecine ce qu’elle devrait offrir. Et c’est probablement vrai. La médecine est une série d’échecs, de semi-défaites et de rares victoires contre les vicissitudes de notre condition d’humain. La médecine n’a rien d’une science exacte, ni pour prédire ni pour offrir la solution précise. La médecine, comme les patients atteints de cancer, espère plus qu’elle ne sait, s’appuie sur l’expérience plutôt que sur l’instinct.

L’expérience avec la maladie doit comporter un élément qui n’appartient pas au patient : la dignité, définie simplement par l’expression d’estime de l’autre. Nous croyons qu’il importe de rétablir un discours qui ne porte plus que sur la mort dans la dignité, terme qui fait écho à la loi qui a instauré l’aide médicale à mourir.

La dignité de la mort viendra du fait que les soins qui ont mené à un moment ultime ont réellement permis des options raisonnables, offertes par la société civile, au bénéfice de l’individu et de la société.

Ce sont en essence les termes rapportés quand on parle de soins de fin de vie, mais ils ont un sens aigu quand on sait que le système de santé ne parvient pas à remplir ses promesses tant pour combattre la maladie que pour accueillir la mort. Et ce, au moment où la relation patient-médecin fait place à un dilemme entre deux êtres qui tentent d’échapper tant à la peur qu’à l’égarement dans un paroxysme d’humanité alors que la science s’efface…

Une patiente s’exprimait récemment en disant que sa vie n’avait pas été facile, que dans la maladie, elle n’avait pas su profiter des traitements qui ont donné plus d’effets nocifs que de contrôle sur son cancer. Elle avait cependant décidé que pour sa mort prochaine, elle déciderait de la façon et du moment, reprenant le dessus, affirmant son autorité sur le destin qui fut le sien. Il serait dommage de penser que seule sa mort fut digne. Accepter de vivre ou pas, de faire face au cancer avec des bénéfices du traitement ou pas, tout cela est digne et caractérise l’esprit humain. Pour certains, la religion influence leurs décisions. Pour d’autres, des valeurs d’indépendance, familiales ou de communautarisme dicteront leurs décisions.

Les choix sont là, dans les valeurs que chacun promeut dans la conduite de sa vie face à l’adversité, face au cancer ou une autre maladie débilitante. Elle n’est pas dans la médecine qui, malgré ses avancements, ne fournit pas l’homme en armes pour contrecarrer l’éphémérité de la vie, ne s’impose pas pour donner un sentiment d’éternité. Cela, c’est l’esprit humain qui le forge, en déterminant ce qui fait partie du legs entre générations et populations.

Les débats récents en lien avec la révision de la Loi concernant les soins de fin de vie nous ramènent à discuter de la continuité de soins. On affirme que cette loi est un soin qui s’ajoute aux autres, qui boucle les services offerts à un patient. En fait, il y a eu dans ce cas comme dans bien d’autres dans le système de santé l’instauration d’un silo qui s’intègre encore difficilement. N’allons pas croire que c’est seulement la nature de la Loi concernant les soins de fin de vie qui produit cela. C’est la lourdeur imposée par le système, centralisé, dénaturé par les processus, axé sur la performance ayant peu d’égards pour ceux qui produisent des soins (plutôt que prodiguent). La dignité est un sentiment qui se dégage de celui qui observe, lui-même observé et souvent dénigré.

Les écarts d’attitude dans le réseau de la santé sont régulièrement rapportés. Ils démontrent une incapacité de s’exprimer à titre d’humain.

Le gouvernement a sciemment utilisé depuis plusieurs années le vocable de mourir dans la dignité. A-t-il confondu à certains égards fierté et dignité ? Fierté dans le sens de « à ma façon », plutôt que dans la démonstration de compassion des proches et l’offre d’un environnement qui la favorise.

Nos lieux de soins se sont déshumanisés depuis 20 ans. Lieux exigus. Ressources insuffisantes. Informatisation inefficace et consommatrice de temps. Détresse des soignants en mal de soutien. La dignité des soins, spécifiée en fin de vie, s’est perdue dans le reste des exigences pour offrir le plus de soins, le mieux des soins au plus grand nombre. Mais malgré cela, les listes d’attente s’allongent, que ce soit pour une opération, de la chimiothérapie ou l’accès à un médecin attitré. Et le plus indigne, c’est l’impression forte que personne n’y peut rien et qu’au moins la fin pourra être digne…

La mort fait partie de la vie, la plupart voudraient que cette première soit une représentation de ce que la seconde a été. Si l’on vise une fin digne, tentons d’offrir une vie dans les soins et autrement qui le soit aussi.

Charles Péguy a écrit : « La seule force, la vraie valeur, la seule dignité de tout : c’est d’être aimé. » Cela ne peut être dicté par une loi, instauré par des règles, imposé par l’État. C’est l’humain qui offre la seule dignité de tout. À titre d’être humain, on meurt toujours décemment. Que ce soit avec la peur au ventre, avec une douleur non soulagée, avec une dépendance aux soins. Mourir dans la dignité, c’est mourir avec le respect de l’autre, peu importe comment on décède ou comment on décide de passer de vie à trépas. Et cela ne pourra jamais être codifié. Mourir dans la dignité est une question sociale que le légal échoue à favoriser si les règles ne sont pas assorties d’aide et de ressources aux soignants, aux proches aidants, aux familles et amis de ceux qui vivent (mot choisi) leurs derniers moments.

La Loi concernant les soins de fin de vie est maintenant adoptée. Prenons tous conscience du fait que nous devons individuellement et collectivement assurer la dignité de la mort sans l’imposer aux seuls soignants. Le débat légal est clos, le discours social et moral ne fait que s’amorcer.

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