Le coup d’État militaire commis le 26 juillet dernier au Niger a pris la population par surprise. Rien ne le laissait présager. Un gâchis monumental dans un pays où le président Mahamadou Issoufou et son successeur Mohamed Bazoum ont eu à cœur de respecter de manière exemplaire les règles et principes édictés par la Constitution ainsi que les institutions garantes de la démocratie.

J’avais rendez-vous avec le président Mohamed Bazoum, heureuse à l’idée d’arriver le 3 août pour la commémoration de la décolonisation et de l’indépendance du Niger. Pas une visite de courtoisie, mais bien de travail, car nous devions examiner ensemble un plan de consolidation du mandat de l’Université africaine de développement, sise à Niamey, la capitale nigérienne.

Le président de la République a fait de ce dossier une priorité, et j’ai l’honneur d’agir depuis deux ans en tant que chancelière de cet établissement dont la gouvernance laissait à désirer et qu’il faut redresser. Un travail engagé en partenariat avec l’Université Ashesi du Ghana, l’United College de l’Université de Waterloo au Canada, dont je suis également chancelière, facilité surtout par un solide programme de bourses et d’accompagnement généreusement mis en place par la Fondation Mastercard établie à Toronto, pour des centaines de jeunes qui, autrement, n’auraient pas accès aux études supérieures, à 70 % des étudiantes. Le tout est mené en collaboration étroite et transparente avec l’État nigérien.

L’objectif est de créer le premier campus bilingue d’Afrique, en français et en anglais, adossé à des compétences et à des formations entièrement alignées sur les besoins et les perspectives de développement des pays africains. Faire en sorte que des cohortes de jeunes du continent, francophones et anglophones, puissent s’instruire ensemble, contribuer à l’avancement de contenus et de pratiques innovantes, éthiques et de bonne gouvernance, au plus près des réalités du terrain et avec les populations. Le modèle est notamment celui de l’Université d’Ottawa, le plus grand campus bilingue au monde, dont j’ai été aussi chancelière et qui est disposée à faire partager sa forte expérience en la matière.

L’implication personnelle du président de la République du Niger, Mohamed Bazoum dans ce projet est exceptionnelle et s’explique par son parcours. Diplômé en philosophie, ancien enseignant qui, dans le cadre de sa maîtrise, avait choisi l’option « Politique et morale », un fervent de l’éducation comme une arme puissante et essentielle de construction massive. Ses premiers pas dans l’action politique ont été au sein du Syndicat national des enseignants, puis de l’Union des syndicats des travailleurs du Niger – un homme de méthode, structuré, pragmatique, courtois et respectueux. Secrétaire générale de la Francophonie, je l’ai connu alors qu’il était ministre des Affaires étrangères puis de l’Intérieur. Je me souviens de nos conversations autour du développement, de la lutte contre la précarité avec pour corollaires incontournables l’équité, l’éducation, l’investissement dans la jeunesse comme l’unique façon de vaincre durablement le terrorisme.

Bien que placé en garde à vue à sa résidence par le général Abdourahamane Tchiani, l’ancien chef de la garde présidentielle, qui s’est présenté le vendredi 28 juillet en tant que président de la junte qui a pris le pouvoir, le président Bazoum et moi avons pu nous parler à quelques reprises et demeurons en contact. Son calme est impressionnant. Il ne démissionne pas.

Sa voix s’est cependant brisée en me disant que les militaires avaient tiré à balles réelles sur la foule, des jeunes en très grand nombre descendus dans la rue pour manifester contre la confiscation de l’État de droit et la prise en otage du président qu’ils ont élu démocratiquement.

Dès le lendemain, les militaires putschistes se sont empressés de mobiliser des partisans de leur coup de force. Dans la foule agitée, on a vu certains brûler le tricolore de la République française dont les emprises sont de plus en plus chahutées dans les anciennes colonies et de nombreux autres brandir le drapeau de la Fédération de Russie en réclamant Vladimir Poutine.

La forte mobilisation internationale, les efforts de médiation et les sanctions érigées notamment par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour forcer les militaires à libérer le président Mohamed Bazoum et à regagner leurs casernes sont le seul espoir d’un retour à l’ordre constitutionnel et démocratique.

Car ce qui est à craindre en Afrique, c’est la présence, du nord au sud, de plus de 50 000 mercenaires russes du groupe paramilitaire Wagner et de près de 200 000 autres en réserve.

Ils sont notablement en Algérie, en Libye, en Mauritanie, au Mali, au Soudan, en République centrafricaine, au Congo, en Angola, au Mozambique, au Zimbabwe, au Botswana et à Madagascar. Ces mercenaires sont également déployés jusqu’au Moyen-Orient et en Amérique latine, 2500 en Syrie et 2000 au Venezuela. Et nul n’ignore ce dont ils sont capables, on le voit en Ukraine.

De toute apparence, le président Poutine et l’oligarque Evgueni Prigojine, chef des milices Wagner, sont encore très liés, comme larrons en foire, partenaires et complices de longue date et en particulier dans le positionnement russe en Afrique. Le sommet Russie-Afrique, les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg, a été pompeusement présidé par Poutine comme le « Forum économique et humanitaire Russie-Afrique pour la paix, la sécurité et le développement ». Plusieurs chefs d’État africains y étaient, dont le chef de la junte putschiste au Mali, le colonel Assimi Goïta, tourné militairement et politiquement vers la Russie. L’Afrique est dans le viseur des intentions de conquête du leader russe, qui convoite, comme d’autres, avec la plus grande ruse les ressources du continent, en alliance avec des militaires qui pour les mêmes raisons, derrière un discours patriote, sont avides de déstabiliser par les armes.

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