En réponse à la lettre de Réjean Bergeron sur les cellulaires en classe, « Cigarette et téléphone intelligent en classe : même combat ! », publiée le 1er août1

Nous avons pu lire, dans une récente lettre de Réjean Bergeron publiée dans ces pages, une virulente charge contre les technologies, singulièrement en éducation. Sans tomber dans le techno-optimisme, le discours mérite néanmoins de sérieuses précisions.

Dans ce texte, on affirme qu’un rapport de l’UNESCO ferait des « circonvolutions » pour conclure que « peu de preuves solides [abondent en faveur] de la technologie en éducation ». Finalement, l’auteur joue les redresseurs de torts en prétendant vouloir réécrire ce qu’aurait dû être le rapport. S’ensuit une diatribe contre les technologies.

Ce que M. Bergeron semble négliger toutefois, c’est que l’effet des technologies éducatives est complexe, parfois contradictoire. Les recherches menées depuis maintenant plusieurs décennies amènent effectivement à ne pas tenir un discours univoque sur le sujet. C’est d’ailleurs ce que dit l’UNESCO dans son rapport lorsque l’on s’y attarde davantage. Ses autrices et auteurs appellent en fait à recourir de façon appropriée aux technologies.

Évidemment, intégrer des technologies pour le simple plaisir d’intégrer des technologies ne sera pas nécessairement couronné de succès. Le numérique n’est pas une panacée et inonder les salles de classe d’appareils numériques à fort prix ne réglera pas les défis des systèmes scolaires. En ce sens, le marketing (parfois agressif) d’entreprises du numérique qui cherchent à phagocyter le monde de l’éducation mérite la plus grande vigilance. Est-ce à dire qu’il faille rejeter en bloc tout recours aux technologies ? Probablement pas.

En effet, de nombreux travaux montrent des retombées positives de technologies sur la motivation et l’engagement des apprenantes et apprenants de tous niveaux. D’autres travaux soulignent leur apport pour aborder des faits, des notions ou des situations complexes. Enfin, la formation à distance en ligne peut s’avérer précieuse, par exemple pour la formation continue ou pour encourager l’accès à l’éducation en région.

Quoi qu’en pense M. Bergeron, le numérique en éducation peut donc avoir son utilité, pour peu qu’il réponde adéquatement à une intention pédagogique. Et cela est exposé par de la recherche.

L’argumentaire développé est plus problématique lorsqu’il confine à un discours réactionnaire dénonçant des « prisonniers de l’idéologie techniciste et participants au mythe du progrès ». La stratégie rhétorique relève du sophisme de l’épouvantail (ou sophisme de l’homme de paille). Elle consiste à caricaturer à outrance le propos de son opposant pour s’exonérer de solutions sur les défis posés par le numérique dans le monde contemporain.

La fausse analogie (second sophisme mobilisé par M. Bergeron) avec la cigarette n’a alors guère sa place : le tabac n’est ni positif ni même inoffensif. Au contraire, le recours au numérique n’est pas intrinsèquement mauvais. Si comparaison il doit y avoir, ce serait peut-être avec un aliment sucré que l’on pourrait rapprocher le numérique. Se nourrir exclusivement de sucre n’est certes pas sain. En revanche, de temps en temps, avec modération, en variant son alimentation et en tenant compte des risques pour sa santé, il n’y a pas vraiment lieu de s’en priver.

Songé, raisonné et encadré, le numérique peut être pertinent en éducation.

Il serait d’autant plus périlleux de le rejeter purement et simplement que les fractures numériques risquent de s’accroître à l’avenir. Surabondance d’information, démocratisation de l’intelligence articifielle, protection de la vie privée, gaspillage technologique, etc. : devant l’omniprésence des technologies dans nos quotidiens et, plus largement, face aux défis éthiques, économiques, sociaux et environnementaux que le numérique annonce, il serait audacieux de croire que la meilleure façon d’y répondre serait de ne plus lui donner de place à l’école. À quoi pourrait servir une éducation qui met de côté le monde tel qu’il est et qui n’y prépare pas ?

C’est pourquoi, au-delà des inquiétudes soulevées par M. Bergeron, on aurait tout intérêt à comprendre le numérique de manière plus large et complexe. Comme le capital culturel et social, ce capital culturel numérique peut être source d’exclusion s’il est non maîtrisé.

Avec les enseignantes et enseignants et l’ensemble des pédagogues de nos établissements, il est possible de lutter contre les inégalités en contribuant à former les citoyennes et citoyens de demain qui devront évoluer de façon autonome, qu’on le veuille ou non, dans un monde où le numérique sera présent.

1. Lisez la lettre : « Cigarette et téléphone intelligent en classe : même combat ! » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion