La semaine dernière, les maires de 14 municipalités du Québec ont réclamé du gouvernement provincial l’instauration d’un registre des loyers. Il ne s’agissait pas du premier geste politique en faveur de cette mesure : en 2010, 26 députés de l’Assemblée nationale lui avaient déjà signifié leur appui. La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, dit avoir refusé de signer cette lettre pour deux raisons. Selon elle, il n’existe pas de données probantes en faveur d’un registre des loyers et il serait préférable de construire et de viser un taux d’inoccupation de 3 % pour équilibrer le pouvoir de négociation entre locataires et locateurs. Nous, membres du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH), saluons la recherche d’un tel équilibre, mais nous soutenons qu’un registre des loyers est un outil indispensable pour y parvenir.

Qu’est-ce qu’un registre des loyers ? C’est une mesure de contrôle des loyers qui vise à rendre public, à l’aide d’une base de données, l’historique des loyers payés pour un logement donné afin d’empêcher les locateurs d’augmenter le loyer de manière abusive lors d’un changement de locataires. Il ne s’agit donc pas d’un moyen de geler les loyers. Si, en théorie, les locataires peuvent connaître le loyer antérieur payé pour leur logement en consultant la section « G » de leur bail, un récent sondage révélait que 80 % des locateurs ne la remplissent pas. Ainsi, un registre des loyers public, provincial, gratuit et obligatoire pourrait pallier ce déficit d’information qui empêche l’application du Code civil du Québec, comme le rappellent depuis plusieurs années les comités logement de la province et leurs regroupements nationaux (Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec et Front d’action populaire en réaménagement urbain).

Cependant, la création d’un registre se heurte aux mythes de la dérégulation du marché locatif véhiculés par les puissants lobbys des propriétaires comme la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec. Ces derniers estiment que l’encadrement du secteur de l’habitation concourt à une dégradation du parc immobilier ainsi qu’à une diminution de la construction de logements et de la profitabilité de l’investissement immobilier. Pourtant, rien n’est plus éloigné de la réalité. Des études ont démontré que la mise en œuvre d’un registre n’a pas d’impact sur la qualité du bâti et, qu’au contraire, elle peut, sous certaines conditions, contribuer à un meilleur entretien des logements⁠1. D’autres recherches ont pour leur part démontré que l’implantation d’un registre n’a pas d’impact significatif sur la profitabilité des investissements⁠2 et qu’elle peut même contribuer à stimuler la construction de logements abordables⁠3.

Certes, les études à ce sujet ne sont pas abondantes, mais cela ne doit pas occulter le caractère novateur de la mesure et l’importance d’un tel outil.

Ailleurs dans le monde, plusieurs exemples ont prouvé l’efficacité du registre et d’autres mesures de contrôle des loyers. Par exemple, à Santa Monica, en Californie, le registre obligatoire permet non seulement de connaître le coût des logements locatifs, mais également de signaler les défaillances du bâti. Cette double fonction en fait un puissant mécanisme pour favoriser la réalisation des travaux d’entretien, en comparaison avec l’absence de suivi encadré dans le secteur privé⁠4. En Suède, le registre a permis de conserver les loyers à un prix abordable, sans pour autant nuire à la construction de nouvelles unités⁠5.

Nous connaissons suffisamment les bénéfices d’un registre des loyers ailleurs dans le monde pour le mettre en œuvre au Québec. L’absence d’un contrôle efficace du prix du logement contribue à accentuer l’insécurité résidentielle des populations à faible revenu, notamment des ménages âgés. Il revient à conférer un avantage immense aux locateur·rice·s dans une négociation qui est de moins en moins transparente et équitable.

1. Slater, T. (2020). Rent control and housing justice.

2. Bonneval, L. (2019). Does Rent Control Prevent Investment in Real Estate ?

3. Gilderbloom, J. L. et Ye, L. (2007). Thirty Years of Rent Control : A Survey of New Jersey Cities.

4. Ambrosius, J. D. et al. (2015). Forty Years of Rent Control : Reexamining New Jersey’s Moderate Local Policies after the Great Recession.

5. Lind, H. (2003). Rent regulation and new construction : With a focus on Sweden 1995-2001.

*Cosignataires du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH) : Yannick Baumann, doctorant, Université de Montréal ; Hélène Bélanger, professeure titulaire, UQAM ; Fabien Desage, enseignant-chercheur, Université de Lille, professeur invité à l’Université de Montréal de 2012 à 2015 ; Montserrat Emperador Badimon, enseignante-chercheuse, Université Lumière Lyon 2/INRS ; Gabriel Fauveaud, professeur adjoint, Université de Montréal ; Louis Gaudreau, professeur, UQAM ; Renaud Goyer, chercheur, Université de Montréal ; Violaine Jolivet, professeure agrégée, Université de Montréal ; Danielle Kerrigan, doctorante, Université McGill ; Chloé Reiser, chercheuse, Community Housing Canada ; Julien Simard, chercheur, UQAM ; Tamara Vukov, professeure agrégée, Université de Montréal ; David Wachsmuth, professeur agrégé, Université McGill.

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