En adoptant, en 2015, une loi permettant à la Caisse de dépôt et placement d’investir dans des infrastructures publiques, le gouvernement Couillard conférait à celle-ci des pouvoirs exceptionnels. Ce faisant, soutenait-on, on échapperait enfin à la lenteur et à l’emballement des coûts qui caractérisent la conception et la réalisation des grands projets. La démesure des pouvoirs concédés à la Caisse en inquiétait plusieurs. Le prix à payer, notamment du point de vue de la gouvernance et de la planification, ne serait-il pas exorbitant ?

Cette inquiétude s’est rapidement révélée fondée. CDPQ Infra, la filiale de la Caisse, a profité de son statut privilégié pour imposer, sans évaluation du bien-fondé de ce mode, l’implantation d’un train léger automatisé circulant sur une imposante structure aérienne. De plus, le projet reprenait pour l’essentiel le tracé du service de bus reliant la Rive Sud au centre-ville, accaparait la ligne de train de banlieue de Deux-Montagnes – de loin la plus achalandée – et identifiait un nouveau corridor de transport collectif parallèle au train de banlieue de l’Ouest-de-l’Île, sachant pertinemment que la loi lui permettait d’exiger le rabattement d’une partie de ses usagers sur ses stations. Tout cela au détriment d’exo. Cette situation, totalement inédite, a permis à CDPQ Infra de faire fi de toute planification d’ensemble, assurée qu'elle était de s'approprier des clientèles d'infrastructures de transport collectif préexistantes.

Le dévoilement du projet du REM de l’Est, en décembre 2020, a montré que CDPQ Infra entendait poursuivre sur cette lancée. Plusieurs se sont dès lors interrogés sur le rôle de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) – écartée d’emblée − et ont déploré l’absence conséquente d’un cadre de référence métropolitain. Or, la problématique du transport collectif dans l’Est de Montréal – l’offre y est dérisoire − n’autorisait pas un simple transfert du modus operandi privilégié par CDPQ Infra dans l’Ouest. Seule une étude sérieuse de la demande et des besoins, actuels et futurs, permettrait l’identification des corridors préférentiels, des tracés et, ultimement du ou des modes.

Mais comme CDPQ Infra défend essentiellement un modèle d’affaires qui repose sur un mode exclusif et son financement − c’est-à-dire son rendement −, aucune étude crédible de cette nature n’a été rendue publique.

Les conséquences fâcheuses du projet sur le train de l’Est, l’aveu d’une cannibalisation de la clientèle de la ligne verte du métro et l’incapacité à démontrer la nécessité, autre que financière, d’un lien direct avec le centre-ville ont confirmé la préséance du modèle d’affaires. Un modèle d’affaires par ailleurs insensible aux critiques quant aux impacts d’une imposante structure aérienne sur les milieux qu'elle traverse.

En écartant CDPQ Infra, le gouvernement a implicitement reconnu le bien-fondé des nombreuses critiques et permettait à l’ARTM, de concert avec le ministère des Transports, la Ville de Montréal et la Société de transport de Montréal, de jouer le rôle pour lequel l’organisme avait été créé, c’est-à-dire planifier. Il faut donc se réjouir qu’une des premières tâches à laquelle le groupe de travail s’est attelé a été d’évaluer les besoins et la demande en transport. Le rapport préliminaire rendu public à la fin du mois de janvier dernier montrait que cette étude a été menée selon les règles de l’art. Ce premier pas – indispensable − n’était toutefois pas suffisant pour fonder les choix qui devront être faits, tant en ce qui concerne les corridors à desservir, que les tracés et le ou les mode(s) le(s) mieux adapté(s).

L’avenir de l’Est de Montréal est en effet indéterminé. L’évocation d’une « Silicon Valley verte », aussi enthousiasmante soit-elle, ne saurait tenir lieu de scénarios sur lesquels fonder une réelle stratégie de redéveloppement. La Chambre de commerce de l’Est de Montréal a certes piloté un exercice prospectif en 2019, mais il s’agit d’un plan de développement à portée essentiellement économique. Quant aux plans de déplacement des arrondissements, ils n’ont fait l’objet d’aucune intégration.

Engagée dans la révision de son plan d’urbanisme, la Ville de Montréal n’a, pour l’instant, rien de bien tangible à mettre sur la table.

Or, il faut insister, cette prise en compte de l’évolution souhaitée de l’Est de Montréal est indispensable. D’abord, pour adapter une offre en transport collectif − qui ne se concrétisera pas avant plusieurs années – à une demande qui, pour une part, n’existe pas aujourd’hui. Ensuite, pour déterminer comment les choix qui seront faits en transport collectif, du point de vue des tracés, des modes et des modalités d’insertion, contribueront à infléchir l’avenir de l’Est de Montréal en adéquation avec les scénarios privilégiés et comment ils pourront contribuer aux transferts modaux souhaités.

C’est seulement de cette manière que peuvent s’articuler urbanisme et mobilité et que peuvent être optimisées les retombées d'une nouvelle infrastructure de transport collectif. Aussi attendait-on avec de grandes attentes les résultats de la poursuite des travaux de l’ARTM.

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