J’aime les rites, les rites créent des temps-espaces distinctifs.

Un de mes préférés, le rite de fin de semaine lorsque je ne suis pas de garde aux urgences.

Assez tôt, j’enfile mes cuissards, saute sur mon vélo et prends d’assaut le mont Royal sur ses différents versants.

Le spin de vélo dans les jambes, je prépare le petit-déjeuner qui doit symboliquement se différencier de celui des jours de semaine. Il n’est pas question de manger des céréales ou du pain grillé, minimum croissants au beurre avec confiture ou scones maison, salade de fruits et café au lait.

Et là, selon la vitesse d’ascension à vélo et l’heure de l’éveil, j’attrapais l’émission Désautels le dimanche en première heure (10 h) ou deuxième heure (11 h) de l’émission. Petit bonheur complet de fin de semaine. Mais depuis le 18 juin 2023, ce rite dominical est allé se loger dans la boîte à souvenir.

Michel Désautels a annoncé son départ de son magazine radiophonique dominical au printemps 2022. Bref, nous avons été avisés longtemps d’avance pour s’habituer à l’idée. Mais c’est comme toutes les choses qu’on aime, nous ne sommes jamais prêts à y renoncer sans peine, sans regret.

Durant la semaine précédant cette dernière émission, les auditeurs de Tout un matin se sont fait rappeler la fin imminente à chaque fois que M. Désautels livrait son billet quotidien. D’ailleurs, M. Désautels, qui faisait des détours pour saluer expressément tous et chacun avant son départ, nous a relaté que l’enfant de 6 ans de l’un de ses collègues pressait son père tous les jours pour sauter dans la voiture qui l’amène à l’école afin de ne pas manquer le monsieur à la voix « satisfaisante ». Effectivement, cette voix chaude, rassurante, bienveillante, bref, satisfaisante.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Désautels a animé, dimanche dernier, la dernière émission de son rendez-vous dominical Désautels le dimanche.

Je n’ai pas boudé mon plaisir et j’ai fait ma groupie, comme plusieurs centaines d’auditeurs, et j’ai accepté l’invitation générale de venir en personne à la maison de Radio-Canada pour assister à cette dernière émission. À 9 h, je faisais la queue dehors sereinement, sous un ciel gris, heureusement sans pluie. Une immense affiche de M. Désautels dans le hall d’entrée surplombait la salle de l’auditoire où nous attendaient viennoiseries et boissons chaudes. M. Désautels a été impeccable pour sa dernière animation, en plein contrôle, mais où deux fois, il s’est quand même permis de faire une entorse à son protocole, tutoyer un invité. Sa voix nous a bercé pendant deux heures à travers différents moments de souvenirs et d’éloges bien sentis de ses invités.

Michel Désautels est un monument. Gentleman interviewer, avec sa voix de velours, il aborde tous les sujets avec lucidité, curiosité décente et écoute bienveillante.

Il ne cherche pas le scoop, comme l’a si bien dit Gilles Vigneault dans son éloge, mais plutôt « une rencontre ». Il n’adopte pas une posture de confrontation, mais, au contraire, il crée un « safe space » (un espace sécurisé) où l’interviewé peut parler à voix nue de sujets pas « sexy », souvent durs, voire violents. Tranquillement, sans cynisme ou voyeurisme, les sujets lourds, complexes, troublants sont discutés, décortiqués et dépecés sans complaisance pour mieux comprendre l’actualité du jour, qu’elle soit locale, régionale ou internationale.

Au fil des années, j’ai été interviewée à quelques reprises par M. Désautels. Je me suis indignée sur le sort des migrants, que ce soit dans les prisons de la Libye ou lors de leurs déplacements forcés par la mer et par la terre, sur les violences sexuelles comme arme de guerre, sur les conflits planétaires où les hôpitaux sont bombardés. Je ne suis pas une personne de communication, je suis un médecin humanitaire qui se permet des prises de parole et je sais que je peux être brute de décoffrage. Mais lors de mes entrevues avec M. Désautels, ses habiles reformulations rendaient souvent le tout tellement plus compréhensible et accessible. Sa générosité et son intégrité à offrir la meilleure information sont devenus la signature de son émission et de facto, une plateforme de plaidoirie pour toutes les causes, y compris celles considérées comme perdues d’avance.

Michel Désautels a été pendant des décennies notre vaccin contre l’indifférence, la désinformation, l’ignorance. C’est un grand legs. Espérons que cet esprit Désautels demeura dans la prochaine mouture de ce magazine d’information dominical. C’est vital.

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