Disparu le 12 juin, l’ancien chef de gouvernement italien Silvio Berlusconi a eu droit à une journée de deuil national. Hormis les présidents de la République, ces chefs d’État élus au suffrage indirect, seulement une autre personnalité avait eu droit à cet honneur en Italie : le pape Jean XXIII. C’est dire combien Il Cavaliere a marqué la pratique de la politique en Italie et ailleurs.

L’outsider

N’étant pas un politicien de carrière, Berlusconi s’est affirmé sur la scène politique italienne en misant sur ses habilités personnelles et sur une mise en récit, à l’époque novatrice, de son propre personnage. Riche homme d’affaires, il s’est toujours présenté comme un self-made man, un homme parti de rien et qui a bâti seul son empire. Ce récit efficace promeut son propre mythe, qu’il propulse dans l’espace public grâce à sa grande richesse et, surtout, aux nombreux médias qu’il contrôle.

C’est donc comme outsider qu’Il Cavaliere remporte ses premières élections en 1994. De fait, il prend les rênes du gouvernement italien deux mois seulement après la fondation de son propre parti de centre droit, Forza Italia.

PHOTO GUGLIELMO MANGIAPANE, ARCHIVES REUTERS

La première ministre italienne Giorgia Meloni

Cette façon efficace de se mettre en récit a fait des émules, dont l’actuelle cheffe du gouvernement, Giorgia Meloni. Dans sa récente autobiographie, elle présente une histoire romancée d’elle-même, une mère italienne chrétienne et issue de la pauvreté, qui est parvenue à se relever de cette situation difficile. Peu importe que plusieurs passages de sa biographie soient romancés, car comme pour Berlusconi, son objectif est de bâtir un mythe inspirant.

Le modèle populiste

Grâce à ses médias surtout, Berlusconi a été un pionnier de la relation directe entre le politicien et les électeurs, qui est devenue progressivement un modèle en Italie et ailleurs dans le monde. Dans cette approche, le leader politique est mythifié et s’affranchit pratiquement du parti : l’investiture populaire (même si l’Italie reste une république parlementaire et non présidentielle) a permis à Berlusconi de se définir lui-même l’oint du Seigneur.

Cette conception très personnalisée du pouvoir a donné lieu à des relations conflictuelles avec les autres institutions du système politique lorsque celles-ci faisaient obstacle à l’exercice du pouvoir. À plusieurs reprises, Berlusconi s’est plaint de l’impossibilité de gouverner le pays à cause du Parlement qui modifiait des lois présentées par le gouvernement. Jugeant le pays « ingouvernable », il a changé la loi électorale en 2006 afin de réintroduire le système proportionnel à listes bloquées et d’ainsi avoir plus de contrôle sur les parlementaires élus.

Cette approche à l’égard du Parlement, vu comme un obstacle au bon fonctionnement du gouvernement, a influencé ses successeurs.

Au cours des 15 dernières années, le vote de confiance pour approuver plus rapidement les lois et empêcher que les parlementaires y apportent des modifications a été de plus en plus souvent utilisé.

Berlusconi avait évoqué à plusieurs reprises une modification de la constitution pour augmenter les pouvoirs du président du Conseil des ministres (le chef du gouvernement). Ce souhait d’avoir un premier ministre plus fort a été notamment partagé par Matteo Salvini, Giorgia Meloni et Matteo Renzi.

L’autre institution avec laquelle Berlusconi est entré le plus souvent en conflit est la magistrature. Il Cavaliere a fait l’objet de nombreuses enquêtes de nature criminelle : corruption, liaisons avec la mafia, abus de pouvoir, fraude fiscale... Selon lui, qui qualifiait la magistrature de « cancer », il était ciblé de manière systématique : les juges (de gauche) le poursuivaient pour l’affaiblir politiquement. Pour Berlusconi, tous les moyens étaient légitimes pour échapper au verdict : utiliser l’excuse de ses fonctions institutionnelles pour obtenir le renvoi des procès et arriver à la prescription, ou recourir au vote du Parlement pour changer la loi, histoire que les chefs d’accusation deviennent nuls et non avenus. S’il n’a été condamné qu’une seule fois, il faut se rappeler qu’il a pu échapper à un verdict de culpabilité une quinzaine de fois grâce à la prescription, à l’amnistie et à des changements de loi.

Ici encore, son approche a inspiré plusieurs politiciens influents. Matteo Renzi, Matteo Salvini et Giorgia Meloni s’en sont tous pris à plusieurs reprises aux magistrats.

L’avenir du gouvernement

Le parti fondé en 1994 par Berlusconi, Forza Italia, lui survivra-t-il ? On peut en douter tant il était modelé par et autour de lui-même. L’ancien coordonnateur du parti, Gianfranco Micciché, a d’ailleurs déclaré que le parti allait mourir avec son fondateur.

Lors des dernières élections, en 2022, le parti n’a fait élire que 44 députés. Ceux-ci font certes partie de la coalition du gouvernement, mais leur nombre n’a fait que décroître au cours des dernières législatives. Des augures qui donneront peut-être raison à Gianfranco Micciché.

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