Comme professionnelles et professionnels de la santé qui œuvrent constamment à la prévention et à la guérison des différents maux et problèmes affectant les Québécois, nous demandons à l’Assemblée nationale et au gouvernement du Québec de planifier de manière exhaustive l’abandon du gaz naturel dans les bâtiments : en interdisant le raccordement et l’installation d’un appareil de chauffage au gaz naturel dans les nouvelles constructions résidentielles, commerciales et institutionnelles ; en interdisant le renouvellement des équipements au gaz naturel pour l’ensemble du secteur des bâtiments en s’inspirant du règlement pour les appareils de chauffage au mazout ; et en rendant obligatoire l’information exacte concernant les risques de l’utilisation des appareils fonctionnant au gaz (notamment les cuisinières à gaz) pour la santé humaine.

Le gaz naturel est présent dans plus de 200 000 bâtiments au Québec et est toujours largement utilisé pour chauffer les espaces et l’eau. En 2020, le chauffage des bâtiments au gaz naturel a produit à lui seul 7 % (5 Mt de GES) des rejets totaux de gaz à effet de serre (GES), soit l’équivalent des émissions de 1,6 million de voitures par an.

Cette énergie fossile représente 8 % de la consommation d’énergie dans le secteur résidentiel et 27 % dans le commercial et institutionnel. Elle est responsable de la quasi-totalité des émissions de gaz à effet de serre attribuables au chauffage des nouveaux bâtiments.

Le Québec a une cible de réduction des émissions de GES de 37,5 % en dessous des niveaux de 1990 à l’horizon 2030. Or, les émissions du Québec stagnent dangereusement, et pour atteindre cet objectif climatique, il nous faut adopter sans plus tarder des politiques publiques ambitieuses et efficaces, notamment dans le secteur du bâtiment. Comme le soulignent des chercheurs de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, « [l]a maturité des solutions permettant de décarboner les bâtiments permet à ce secteur de s’engager résolument sur cette voie avec un calendrier serré pour compenser les difficultés rencontrées dans d’autres secteurs, tels que celui du transport »⁠1.

Au Québec, participer à l’effort de décarbonation à partir du gaz naturel est tout indiqué ; nous n’en produisons pas et nous maîtrisons les solutions de rechange. Sans s’y limiter, les thermopompes à climat froid pour l’eau et l’électricité, les accumulateurs thermiques et les cuisinières à induction comptent parmi ces solutions matures.

L’adoption sans tarder d’une réglementation québécoise s’inspirant du rapport de la Commission sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs déposée à la suite de la consultation publique portant sur la Feuille de route vers des bâtiments montréalais zéro émission dès 2040 est à notre avis un jalon incontournable de la transition du Québec.

En outre, choisir l’élimination des énergies fossiles dans les bâtiments aura aussi comme effets de réduire la pollution de l’air intérieur et extérieur, et les risques sanitaires causés par les combustibles fossiles⁠2, et de contribuer aux objectifs climatiques de l’État dans son ensemble afin de garantir que les générations actuelles et futures soient protégées des conditions météorologiques extrêmes et de la détresse causés par les changements climatiques.

L’importance de communiquer les risques

Dans nos pratiques professionnelles, nous constatons tous les jours l’ampleur des problèmes respiratoires dans la population. Et nous prenons de plus en plus conscience des angles morts, dans nos pratiques, concernant les environnements dans lesquels nos patients vivent et évoluent. Prolonger l’utilisation du gaz dans le bâtiment est difficile à justifier alors qu’il existe des options meilleures, adaptées à notre climat froid et qui tirent parti du réseau électrique le plus propre en Amérique du Nord : le nôtre.

Sur le plan de la santé, rappelons que « [l]’extraction et la production de gaz polluent également l’air et contaminent les sources d’eau, tandis que dans les maisons, les appareils à gaz sont une cause de pollution de l’air intérieur et présentent un risque sérieux pour la santé respiratoire des enfants »⁠3. Car nous voulons souligner que les équipements fonctionnant au gaz devraient aussi être considérés dans un cheminement nous menant à sortir du recours aux énergies fossiles.

Tout particulièrement, les effets sur la santé des cuisinières au gaz sont encore méconnus, et pourtant, ils sont importants.

En effet, leur utilisation contribue à dégrader la qualité de l’air intérieur – « très souvent au-delà des recommandations en vigueur au Canada pour le dioxyde d’azote » ⁠4 –, et même éteint, l’appareil produit des émanations fugitives toxiques non négligeables.

Les bâtiments et les équipements fonctionnant au gaz sont des biens de longue durée de vie et l’utilisation des meilleures pratiques dès le départ devrait être la norme pour nos politiques publiques. Malheureusement, les appareils fonctionnant au gaz sont trop souvent promus par les entreprises du secteur gazier avec un marketing puissant qui leur attribue un confort et une précision accrus, mais omet de souligner les risques pour le climat et la santé respiratoire qu’ils posent, tant à l’utilisation que par leur seule présence dans un bâtiment.

Il est temps de cesser de reporter notre sortie collective des énergies fossiles dans nos bâtiments.

En espérant que vous ferez preuve d’ouverture et de diligence face à cette requête, nous vous remercions de votre engagement à faire progresser la transition énergétique de concert avec la santé respiratoire de la population québécoise, afin que notre avenir collectif soit véritablement sain et résilient.

1. Consultez le rapport de L’accélérateur de transition 2 et 3. Consultez Santé Canada : « La cuisson et la qualité de l’air intérieur » 4. Lisez « Les cuisinières à gaz dégradent la qualité de l’air intérieur » 4. Lisez « Quelle est la qualité de l’air dans une maison équipée d’une cuisinière à gaz ? »

* Cosignataires : Manon Leduc, médecin de famille ; Geneviève Ferdais, médecin omnipraticienne ; Inês Lopes, PhD en psychologie de l’éducation et éducatrice à l’environnement et à la justice sociale ; Nathalie Lebel, médecin interne générale ; Elizabeth Robinson, médecin spécialiste en santé publique (retraitée) ; Marie-Claude Surprenant, médecin omnipraticienne ; Pierre De Ruffray, médecin de famille ; Suzanne Boyer, médecin ; Myriam Cloutier, infirmière ; Nathalie Lavallée, infirmière auxiliaire ; Jean E. Bouchard, médecin ; Jeanne Omer, médecin ; Véronique Audet-Simard, médecin ; Élise O’Carroll, médecin ; Nadia R Llanwarne, médecin ; Catherine Beauce, médecin ; Stéphanie Burelle, médecin omnipraticienne ; Véronique Prud’homme, médecin de famille ; Chloe Jamaty, médecin spécialiste en médecine d’urgence ; Geneviève Ouellet, pharmacienne ; Stephan Botez, neurologue et professeur adjoint ; France Desjardins, médecin de famille ; Maite Garcia, médecin de famille

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