L’automne dernier, le Canada a lancé des consultations qui mèneront, plus tard en 2023, à l’adoption de la première Stratégie pour une agriculture durable (SAD), un plan dont l’objectif déclaré est « d’améliorer la performance environnementale du secteur à long terme, de soutenir les moyens de subsistance des agriculteurs et de renforcer la vitalité commerciale de l’industrie agricole canadienne ».

Il est toutefois inquiétant de constater que le document de consultation ne fait aucune mention d’une diminution de la consommation de viande et de produits laitiers, pourtant nécessaire pour respecter le budget carbone mondial. Maintenant que des centaines de participants aux consultations ont demandé que la stratégie aligne le secteur agricole sur des régimes alimentaires durables, le rapport de consultation à venir corrigera-t-il le tir ?

Comme nous l’a rappelé le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, nos habitudes alimentaires doivent changer substantiellement pour que le Canada parvienne à la carboneutralité d’ici 2050.

Consultez le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

Des scientifiques ont démontré à maintes reprises que l’impact environnemental de la viande et des produits laitiers est nettement plus élevé que celui des aliments d’origine végétale. Par exemple, 100 grammes de protéines de bœuf émettent en moyenne 50 kg d’équivalent CO2, soit 59 fois plus que la même teneur en protéines dans les légumineuses, selon une étude de Science de 2018.

À cela s’ajoute le fait que la production d’aliments d’origine animale nécessite, pour le même contenu nutritionnel, des quantités d’eau bien plus importantes que leurs équivalents végétaux. L’alimentation carnée nécessite également beaucoup plus de terres – des terres qui pourraient être libérées pour restaurer la biodiversité.

Une nécessité, selon des chercheurs

Des chercheurs utilisant des modèles complets de systèmes alimentaires, comme Marco Springmann de l’Université d’Oxford, ont démontré en 2018 que les émissions de GES ne pourront tout simplement pas demeurer dans les limites de la planète si nous ne modifions pas notre régime alimentaire en faveur d’une alimentation plus végétale.

En d’autres termes, même avec les meilleures technologies vertes disponibles, il est mathématiquement impossible de stabiliser le climat sans réduire la consommation de viande et de produits laitiers. À l’échelle de l’Amérique du Nord, une réduction de 50 % d’ici 2030 est nécessaire.

Cela est d’ailleurs cohérent avec le guide alimentaire canadien, qui recommande depuis 2019 de choisir des protéines d’origine végétale plus souvent.

En dépit des données scientifiques, l’approche du gouvernement dans le secteur agricole se limite à agir sur les techniques et les technologies de production, sans changer quels types d’aliments sont produits. Cela doit évoluer.

Une opportunité économique

À l’heure où plus de 70 pays visent la carboneutralité d’ici le milieu du siècle, y compris les plus grands émetteurs mondiaux comme la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, l’adaptation de notre secteur agricole pour répondre aux besoins des régimes alimentaires durables de demain représente une énorme opportunité économique pour le Canada.

Notre secteur agricole est déjà très bien positionné, étant le premier exportateur mondial de pois secs. Selon le Conseil national de recherches du Canada, le secteur canadien des protéines végétales devrait contribuer au PIB à hauteur de plus de 4,5 milliards de dollars et créer plus de 4500 emplois d’ici 2029.

Des fleurons de l’industrie, comme Roquette, qui a ouvert en 2021 la plus grande usine de protéines de pois au monde à Portage la Prairie, au Manitoba, exploitent déjà ce potentiel, avec le soutien de la Grappe des industries des protéines du Canada.

Et certains producteurs traditionnels surfent déjà sur la vague des protéines végétales, comme Maple Leaf Foods, qui a acquis deux marques de protéines végétales au cours des dernières années. Ou encore Lactalis, qui a transformé l’entièreté de son usine laitière de Sudbury en production de lait végétal en 2022.

La transition du système alimentaire peut – et doit – être une transition juste pour tous. Alors que la population fait face à une inflation record, les régimes alimentaires durables signifient un panier d’épicerie plus abordable, car les protéines végétales non transformées comme les pois chiches ou les lentilles sont moins chères que la viande.

Compensation et formation

La nouvelle Stratégie pour une agriculture durable devrait également offrir des compensations et des formations appropriées aux 110 000 personnes travaillant dans les secteurs de la viande et des produits laitiers qui subiront les conséquences d’un passage à une alimentation plus végétale.

Tout comme la transition des secteurs du charbon, du pétrole et du gaz doit s’accompagner d’opportunités nouvelles, ne pas préparer adéquatement notre secteur agricole aux régimes alimentaires de demain serait de la gestion à courte vue et une mauvaise planification économique.

La nouvelle stratégie amorcera-t-elle un alignement de l’agriculture canadienne vers des régimes alimentaires durables ? La réponse nous dira si le gouvernement libéral prend vraiment au sérieux la lutte contre les changements climatiques ou s’il préfère faire l’autruche.

* Cosignataires : François Delorme, économiste et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke ; Damon Matthews, professeur et titulaire de la chaire de recherche de l’Université Concordia en climatologie et en durabilité ; Nicholas Carter, écologiste et scientifique de données, Plantbaseddata.org ; Eleanor Carrara, cofondatrice du Mouvement des villes pour une alimentation davantage végétale

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