Tout comme celles qui sévissent en ce moment dans de nombreux autres domaines, la pénurie enseignante est au cœur des débats au Québec. Cette pénurie n’est ni soudaine ni récente. Plusieurs indicateurs issus du gouvernement et de la recherche l’ont prédite dès la fin des années 1990. Elle a été exacerbée par certains facteurs comme l’ouverture de la maternelle 4 ans et la pandémie qui a précipité le départ de personnes légalement qualifiées, détentrices d’un brevet d’enseignement.

On pourrait croire que cette pénurie est le résultat d’un déséquilibre entre les besoins du système éducatif en matière de personnel enseignant et le nombre de personnes qualifiées. Il s’agit là d’une lecture réductrice du phénomène, car il est maintenant reconnu que cette pénurie découle en grande partie du décrochage enseignant et du manque d’attractivité de la profession.

Une situation précaire

La société québécoise sait déjà qu’à cause de conditions de travail difficiles et d’un soutien à l’insertion professionnelle défaillant, de 25 % à 30 % du nouveau personnel enseignant qualifié quitte la profession après la première année d’enseignement et jusqu’à 50 % après cinq ans. Qui plus est, le décrochage ne se limite plus aux jeunes. Des personnes plus expérimentées jettent la craie, car les exigences n’ont cessé de croître.

Le système éducatif souffre d’une hémorragie. On ne peut pas continuer d’embaucher plus de personnel en lésinant notamment sur la qualité de la formation, en sachant qu’il risque à son tour de décrocher.

Sur le plan de l’attraction, la situation est loin d’être rose. Les programmes universitaires de formation à l’enseignement connaissent une baisse historique du nombre de d’étudiants s’y inscrivant. Entre 1996 et 2018, cette baisse a atteint 15 % dans la formation à l’enseignement au primaire et 40 % au secondaire. En d’autres termes, moins de personnes font le choix de suivre une formation universitaire pour embrasser une profession ayant un taux de précarité de 40 %, des conditions de travail peu enviables et une couverture médiatique souvent négative. Le Québec se retrouve ainsi avec une profession dévalorisée et marquée par un exode des deux bouts. Que faire ?

Des solutions connues

Heureusement, la recherche est éloquente à cet égard. Les conditions de travail étant déterminantes pour motiver les personnes à intégrer la profession et à y rester, il faut des politiques qui ciblent l’attraction, le recrutement et la rétention du personnel enseignant qualifié pour réduire l’attrition et améliorer la réussite scolaire des élèves. Nous devons nous poser les questions suivantes : le Québec est-il prêt à exiger un enseignement de qualité pour tous les élèves en garantissant aux personnes nouvellement qualifiées une tâche raisonnable ? Est-il prêt à ne pas donner aux enseignantes et aux enseignants débutants les classes et les contrats les plus exigeants refusés par les plus expérimentés ? Est-il prêt à leur assurer, dès leur diplomation, des postes à temps plein menant à la permanence pour les sortir de la précarité ? Est-il prêt à investir davantage dans leur insertion professionnelle ?

Une réduction de la formation n’est pas la solution

Si on croit les statistiques communiquées dans les médias, on peut dire que le mal est déjà fait au Québec. La pénurie frappe plus fort que jamais, et le milieu fait de plus en plus appel à des personnes non légalement qualifiées. Des classes où se succèdent des suppléants sont devenues monnaie courante. Il s’agit certainement d’un drame national. Il devient urgent de former et de qualifier ces personnes sans pour autant baisser les exigences associées à l’obtention du brevet. Ce n’est pas en sabrant la formation que la professionnalisation et la rétention des personnes non légalement qualifiées seront assurées.

La recherche montre que les personnes mal formées sont moins préparées à faire face aux défis du métier, et donc qu’elles sont les plus susceptibles de décrocher.

Pour des fins de qualification, une maîtrise en enseignement (60 crédits) est le minimum pour s’assurer que les compétences définies par le Ministère soient « en large partie maîtrisées » et que les personnes qui en sortent diplômées soient en mesure d’enseigner tous les domaines d’apprentissage au primaire tel qu’exigé, encore une fois, par le Ministère. Former du personnel enseignant qualifié nécessite temps et ressources. Cependant, cet investissement n’est rien comparativement au fait de ne pas pouvoir compter sur une génération de jeunes capables de lire et d’écrire adéquatement en français, de raisonner à l’aide de concepts mathématiques et scientifiques ainsi que de devenir des citoyens responsables. Comme société, nous devons donner cette chance à tous les élèves du Québec.

Enfin, dans les autres domaines connaissant une pénurie, personne ne parle de réduire les formations qui leur sont associées. Accepterions-nous de réduire de moitié la formation en médecine ou en ingénierie ? Pourquoi faut-il l’accepter quand il s’agit de l’éducation, un domaine névralgique dans tout projet de société ?

* Cosignataires des Associations étudiantes de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal : Frédérique Dufresne, présidente de l’Association générale des étudiantes et étudiants en éducation ; Savanah Hamaoui, présidente de l’Association des étudiants et étudiantes en enseignement secondaire. De la direction de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal : Cecilia Borges, vice-doyenne aux études supérieures et à la recherche ; David D’Arrisso, vice-doyen aux affaires professorales et secrétaire de faculté ; Nathalie Loye, vice-doyenne au développement et à la formation continue ; Josianne Robert, vice-doyenne aux études de premier cycle ; Rachel Berthiaume, directrice du Département de didactique ; Nadia Desbiens, directrice du Département de psychopédagogie et d’andragogie ; Frédéric Yvon, directeur du Département d’administration et fondements de l’éducation. Professeurs et professeures de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal : Geneviève Barabé ; Olivier Bégin-Caouette ; Sébastien Béland ; Nathalie Bisaillon ; Marie-Eve Boisvert-Hamelin ; Marie-Claude Boivin ; François Bowen ; Christine Brabant ; Geneviève Carpentier ; Sylvie Cartier ; Christophe Chénier ; Daniel Daigle ; Martial Dembélé ; Sarah Dufour ; Micheline Joanne Durand ; Marc-André Éthier ; Naomie Fournier Dubé ; Alejandro González Martin ; Catherine Gosselin-Lavoie ; Canisius Kamanzi Pierre ; Fasal Kanouté ; Rola Koubeissy ; Sarah Landry ; Alexandre Lanoix ; Julie Larochelle-Audet ; Amélie Lemieux ; Francisco Loiola ; Marie-Odile Magnan ; Élodie Marion ; Lyne Martel ; Bruce Maxwell ; Gabriel Michaud ; Diana Miconi ; Isabelle Montésinos-Gelet ; Adriana Morales ; Joëlle Morrissette ; Élizabeth Olivier ; Garine Papazian-Zohrabian ; Mélanie Paré ; Bruno Poelhuber ; Emmanuel Poirel ; Maurice Tardif ; Marie Thériault ; Nathalie Trépanier ; Jesus Vazquez-Abad ; Isabelle Vivegnis

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