Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, donne officiellement l’ordre à tous les centres de services scolaires d’interdire l’aménagement de salles destinées à la prière dans les classes. Dans sa directive, adoptée par le Conseil des ministres mercredi, l’élu affirme qu’« aucun lieu » d’une école ne devra être utilisé pour prier.

« Afin de préserver le caractère laïque de l’école publique, j’émets donc aujourd’hui une directive concernant les pratiques religieuses dans nos écoles, nos centres de formation professionnelle et nos centres d’éducation des adultes publics. Les écoles sont des lieux d’apprentissage et non des lieux de culte », a confirmé M. Drainville dans une déclaration diffusée en fin de journée.

Très clairement, Québec ordonne aux centres de services et aux autres établissements de s’assurer « qu’aucun lieu n’est utilisé, en fait et en apparence, à des fins de pratiques religieuses telles que des prières manifestes ou d’autres pratiques similaires ».

Début avril, Cogeco Nouvelles avait d’abord rapporté que des écoles secondaires de Laval, entre autres, avaient aménagé des salles de recueillement dans des classes, alors que des groupes d’élèves priaient dans des lieux inappropriés, comme les cages d’escalier ou les stationnements.

Puis, le 98,5 FM avait cité le témoignage d’un employé de l’École d’éducation internationale qui affirmait qu’un enseignant se serait improvisé imam et que des filles auraient été refusées à l’entrée du local. Le ministre Drainville avait alors affirmé qu’un local voué à la prière devait surtout être accessible à tous les élèves, peu importe leur foi ou leur genre, avant de se raviser.

Au cours des jours qui ont suivi, de vifs débats ont eu lieu à l’Assemblée nationale. Les parlementaires ont notamment adopté une motion proposée par les péquistes. Le texte de cette motion stipulait notamment que « la mise en place de lieux de prière, peu importe la confession, dans les locaux d’une école publique va à l’encontre du principe de laïcité ».

« Incompatible » avec la neutralité religieuse

La directive de M. Drainville affirme notamment que « l’aménagement de lieux utilisés à des fins de pratiques religieuses dans une école, un centre de formation professionnelle ou un centre d’éducation des adultes publics est incompatible avec le principe de la neutralité religieuse de l’État ».

« Selon le principe de liberté de conscience, un élève a le droit d’être protégé de toute pression directe ou indirecte visant à l’exposer ou à l’influencer de manière à ce qu’il se conforme à une pratique religieuse », y affirme aussi le ministre, en rappelant qu’un représentant de l’État « ne peut, dans l’exercice de ses fonctions, favoriser une ou plusieurs religions, par exemple en supervisant ou en endossant autrement l’organisation de pratiques religieuses ».

Ultimement, « l’aménagement de lieux utilisés à des fins de pratique religieuse est de nature à avoir un impact sur le bon fonctionnement des écoles, des centres de formation professionnelle et des centres d’éducation des adultes », note M. Drainville.

Si cette directive n’est pas respectée, alors il reviendra à la direction générale du centre de services scolaire de prendre « les moyens nécessaires pour que les correctifs appropriés soient apportés par les directions d’établissement », conclut le ministre de l’Éducation.

Au-delà du réseau scolaire, Québec « n’a pas l’intention » d’interdire les salles de recueillement où des étudiants peuvent prier dans les cégeps et les universités, avait indiqué le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry.

« Le problème persiste », s’inquiète le PQ

Au Parti québécois (PQ), le député Pascal Bérubé a salué mercredi la décision du ministre, réclamant toutefois que la directive s’applique à tous les établissements. « C’était la décision qu’il fallait prendre. Cela dit, je me demande encore pourquoi les cégeps et les écoles privées ne sont pas assujettis à la loi 21. Ces pratiques vont se poursuivre dans ces écoles, le problème persiste », a-t-il soutenu.

« La CAQ a un préjugé tellement fort sur les écoles privées qui les met à l’abri de toute disposition pour le bien commun pour ce qui est de la laïcité », a poursuivi M. Bérubé, en appelant Québec à « rouvrir la loi 21 » pour y ajouter les cégeps et les écoles privées. « En ce moment, ça crée une distorsion », a dit l’élu.

Chez Québec solidaire (QS), la critique en éducation, Ruba Ghazal, a déploré que le ministre Drainville ait pris « deux semaines pour écrire une directive qui manque de clarté et qui semble inapplicable ».

« On va se créer plus de problèmes qu’autre chose : est-ce que les profs vont devoir surveiller les corridors et les cours de récréation au cas où un élève se recueillerait ? Pourquoi ne pas avoir simplement interdit les salles exclusivement réservées à la prière et permis les salles de ressourcement ouvertes à tous lorsque c’est demandé et que des locaux sont disponibles ? », a-t-elle insisté.

Le cabinet du chef par intérim du Parti libéral du Québec (PLQ), Marc Tanguay, a quant à lui indiqué en soirée qu’il prendra « le temps d’analyser la directive avant de commenter ».

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse