Vingt ans séparent les décisions irréfléchies prises par George W. Bush en 2002 qui mèneront quelques mois plus tard à l’invasion de l’Irak et celles, judicieuses, prises en 2022 par Joe Biden qui pousseront les États-Unis à réagir vigoureusement à l’invasion de l’Ukraine.

Si l’invasion de l’Irak constitue l’une des bourdes les plus importantes et les plus polémiques de l’histoire de la politique extérieure des États-Unis, la réponse américaine à l’agression russe en représente l’un des moments forts et rassembleurs. Si les conséquences de l’invasion de 2003 ont grandement entamé la réputation des États-Unis, celles de 2023 confirment l’importance du leadership américain.

Comment expliquer un tel contraste et pourquoi, en comparaison avec les décisions prises au sujet de l’Ukraine, celles concernant l’Irak furent-elles aussi lamentables ?

Trois raisons préinvasion rendent compte en 2002 de l’incapacité et de l’incompétence du gouvernement américain à confronter le régime de Saddam Hussein.

Une erreur de jugement

En premier lieu, Bush n’est pas Biden. Il n’a aucune expérience en relations internationales et ne connaît rien (ou presque) aux enjeux. Dans le contexte qui suit les attaques terroristes du 11-Septembre, il bénéficie du large soutien des Américains et juge qu’il a toute latitude pour prendre les décisions qui à ses yeux renforceront la sécurité du pays. Ses conseillers sont grandement divisés sur la gestion du dossier irakien et ne lui présentent pas d’avis fermes et consensuels. L’instinct de Bush le desservira : il croira trop facilement pouvoir se débarrasser du dictateur irakien à peu de frais. L’erreur est d’abord et avant tout la sienne. Il aurait dû se concentrer sur le défi de la stabilisation de l’Afghanistan et non celui de la déstabilisation de l’Irak. En comparaison, la gestion de l’Ukraine par Biden est aux antipodes : compétente, consensuelle, mesurée et au jugement présidentiel solide.

En second lieu, le renseignement américain a failli à sa tâche en 2002 tandis qu’il a été brillant en 2022. Non seulement la CIA a cru faussement à la présumée présence des armes de destruction massive en Irak, les avis contraires émanant du département d’État ont été ignorés, et certains conseillers (dont le directeur de la CIA et le vice-président) ont anticipé et conclu à cette présence à des fins politiques. Les armes de destruction massive constituaient en fait pour Saddam Hussein un épouvantail utile dont les Américains ont exagéré et instrumentalisé la menace.

De fait, après la guerre, quelques composantes de ces armes de destruction massive furent trouvées en Irak, toutes fabriquées avant 1991 et bien loin de constituer un arsenal menaçant de façon concrète et imminente la sécurité des États-Unis et du monde.

Si le renseignement américain a erré en 2002, sa crédibilité a été restaurée 20 ans plus tard au moment de prévenir l’Ukraine et le monde de l’imminence de l’invasion russe.

En troisième lieu, le contexte international n’est pas jugé bien facile pour Biden aujourd’hui, car plusieurs pays (dont la Chine et l’Inde) n’appuient pas la volonté américaine d’aider le gouvernement ukrainien. Mais le contexte d’il y a 20 ans était à plusieurs égards pire encore, dans la mesure où plusieurs des alliés des États-Unis (dont le Canada et la France) se sont opposés à l’invasion de l’Irak.

L’ambition de l’administration W. Bush fut fortement contestée et dénoncée comme une manifestation d’empire totalement scandaleuse. C’est aujourd’hui cet argument qui est avancé pour caractériser l’invasion de l’Ukraine, décision d’un autre siècle prise par Poutine. Qui plus est, le soutien des alliés de Washington à Kyiv ne s’effrite pas (pour le moment) et jouit d’une légitimité incontestable.

La décision de renverser le régime de Saddam Hussein fut ainsi mal avisée et les erreurs de l’administration Bush entachèrent dès le début l’occupation américaine de l’Irak. Le nombre trop limité de soldats déployés ne permettait pas de contrôler et de stabiliser le pays. La dissolution de l’armée irakienne offrit une main-d’œuvre qualifiée et disponible aux mouvements insurrectionnels qui s’organisèrent dès l’été 2003. L’interdiction pour toute personne ayant adhéré au parti Baath d’occuper un emploi dans la fonction publique priva le pays libéré de son dictateur des forces vives aptes à le faire fonctionner. Sans oublier le peu d’attention accordée par l’administration Bush aux tensions ethniques et religieuses qui traversaient la société irakienne.

Lourdes conséquences de l’invasion

Dans un tel contexte, la « mission accomplie » annoncée par W. Bush le 1er mai 2003 ne fut que de courte durée et l’Irak plongea dans le chaos, la violence et la guerre civile. Entre 2003 et 2011, plus de 4000 soldats américains y furent tués et plus de 30 000, blessés. Selon le Watson Institute de la Brown University, le montant des guerres lancées par Washington après le 11-Septembre, dont l’Irak, s’élève en 2022 à 8000 milliards de dollars. Et s’il n’existe pas de chiffre précis concernant les victimes irakiennes, les estimations du nombre de morts se situent entre 100 000 et 400 000.

Vingt ans plus tard, quelles sont les conséquences de cette erreur majeure et coûteuse pour les États-Unis ? Certes, le « sursaut » décidé par W. Bush en janvier 2007 permit aux forces américaines de s’adapter aux défis de la contre-insurrection et d’ouvrir une période de relative stabilité politique. Mais la résurgence du terrorisme islamiste sous la forme de l’État islamique en 2014 en démontra toute la fragilité.

L’Irak n’est pas devenu le pays stable, démocratique et allié potentiel auquel rêvaient les néoconservateurs les plus convaincus.

Cette aventure militaire a surtout nourri chez la population américaine et une partie de ses décideurs, Obama et Trump en tête, une volonté de repli des affaires du monde. Or, les évènements et tendances à l’œuvre depuis une décennie, de la guerre en Syrie aux velléités de puissance de plus en plus affirmées de Pékin en passant par les agressions de Moscou, démontrent qu’une telle approche n’est ni bénéfique pour Washington ni souhaitable pour la sécurité internationale.

L’erreur de l’invasion de l’Irak entacha momentanément le crédit des États-Unis. La leçon à en tirer cependant ne saurait être qu’ils doivent renoncer à leur engagement international. La détermination et l’aptitude de Biden à constituer et maintenir une alliance en faveur de l’Ukraine sont en effet la preuve que la puissance américaine, malgré ses ratés et ses errements, demeure indispensable à la défense des valeurs libérales.

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