En tant que gestionnaire d’opérations humanitaires, j’ai vu le meilleur et le pire, surtout le pire, de la nature humaine. D’ailleurs, le meilleur et le pire se côtoient souvent en même temps et au même endroit.

Bien qu’ayant vécu les semaines qui l’ont précédée et le début de cette guerre en Ukraine, mon objectif n’est pas de prendre position pour l’une ou pour l’autre, mais plutôt de plaider pour un retour à la raison de toutes les parties. Il faut rappeler que le nombre d’Ukrainiens et de Russes blessés et tués quotidiennement est vertigineux. Et on évoque un bilan terrifiant de près de 300 000 personnes tuées en un an de guerre.

Ne sommes-nous pas capables de mettre fin à la répétition inexorable, génération après génération, des mêmes erreurs et des mêmes horreurs dans des tranchées creusées par nos ancêtres ?

Après la Première Guerre mondiale, on était certains qu’une autre guerre, une autre boucherie, était impossible. Et pourtant, la Seconde Guerre mondiale a frappé 20 ans plus tard. Chaque génération pense qu’elle est plus évoluée, consciente, intelligente que la précédente. Il n’en est rien. Toute guerre part d’une lutte d’ego entre une poignée d’individus. Cette lutte d’ego, ces petites trahisons, ces promesses non tenues sont l’incubateur de ce qui deviendra des décennies plus tard des conflits majeurs impliquant des millions d’individus. La chute du mur de Berlin a marqué la fin de la guerre froide et la création d’un incubateur qui nous conduit 30 ans plus tard à un nouveau Verdun, le Donbass.

Nous pensions que l’Union européenne, une coalition de 27 pays, était en mesure de s’élever au-dessus des guerres territoriales et de représenter une véritable force diplomatique œuvrant pour la stabilité et la paix durable entre les nations. Or, et ce depuis de nombreuses années, la diplomatie a souvent pris la forme d’effets de communication, de promesses non tenues, de coups de menton, d’humiliations et de sanctions.

Une Europe belliciste

Cette Union européenne a vendu, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la génération des baby-boomers que « l’Europe, c’est la paix ». Or, l’acclamation, pour ne pas dire la liesse, réservée au président ukrainien venu demander armes, munitions, chars et avions de combat à Bruxelles, nous a montré une Europe belliciste. Pourtant, la guerre n’est pas une fête, pas une célébration, pas un spectacle euphorisant. Les dirigeants politiques et députés européens sont en train de s’enfermer, avec les peuples qu’ils représentent, dans une escalade militaire dont ils ne semblent ni prendre la mesure ni réaliser les conséquences possibles. Et cela sans parler du fait que les pays européens n’ont pas les moyens militaires de leurs ambitions, ayant considérablement réduit leurs capacités militaires, aveuglés par leurs certitudes dogmatiques que « l’Europe, c’est la paix », que « l’OTAN les protège » et que l’arme nucléaire représente à elle seule la « dissuasion ».

Quelle est la doctrine des pays de l’Union européenne ? Une fois qu’ils auront épuisé leurs maigres stocks de munitions, d’armes et de véhicules terrestres, ils enverront leurs avions de combat.

Et ensuite, quand des centaines de milliers, voire des millions de Russes, d’Ukrainiens et de ressortissants d’autres pays auront été tués, que des armes nucléaires auront été utilisées ou non, que des Oblasts ukrainiens et russes auront été défigurés et seront inhabitables pour des décennies, c’est à ce moment-là que l’on arrachera la paix ? Une paix comme en 1918, en humiliant l’Allemagne dans un wagon de train ? Cette paix qui nous conduisit 20 ans plus tard à la Seconde Guerre mondiale, entraînant dans la mort des millions de personnes ? C’est pour cela que cette escalade militaire sur fond d’exaltation déplacée et sans vision à long terme ne peut être une stratégie et encore moins une doctrine viables.

La quête de la victoire à tout prix n’est pas le chemin vers la paix. C’est la quête de la paix qui est le chemin de la victoire. Cette victoire, ce sera une paix durable basée sur des négociations puis sur une diplomatie véritable entre les nations.

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