Comme bien des gens qui souhaitent réduire leurs empreintes écologiques, j’aimerais éventuellement changer mon véhicule à essence pour un véhicule électrique. Hélas, plus je m’informe et plus je constate que le saut vers le véhicule électrique est loin d’être évident.

Premièrement, il y a tous ces problèmes techniques et logistiques qui perdurent : les délais de livraison, des infrastructures encore déficientes, l’autonomie restreinte, la fiabilité inconnue, des batteries de remplacement à coût exorbitant…

On pourrait aussi parler du coût d’achat d’un véhicule électrique. Même avec les subventions, le coût moyen d’un véhicule électrique s’apparente au coût d’une voiture de luxe. Avec la pénurie mondiale de matières premières à venir, on prévoit que le prix va continuer à augmenter.

Certains diront « oui, mais la réduction des gaz à effet de serre (GES) compense largement pour tous ces inconvénients, surtout si on considère que les problèmes techniques sont surmontables. Le prix va finir par baisser et les batteries vont bientôt être beaucoup plus performantes ».

Le hic est qu’il ne s’agit pas seulement de problèmes techniques ou logistiques à surmonter. Les experts s’entendent pour dire que même si le parc automobile devenait entièrement électrique du jour au lendemain, nous serions encore aux prises avec des émanations importantes de GES.

Dans un excellent reportage de Radio-Canada intitulé Le mirage de la voiture électrique⁠1, on apprend que le déficit environnemental du véhicule électrique est tellement important qu’on doit rouler 85 000 km avant de rattraper les GES émis par une voiture à essence.

Le calcul environnemental habituel fait fi des GES émis lors du minage, de la fabrication, du transport, de la gestion des déchets et du recyclage, entre autres. Étant donné que les véhicules électriques sont de plus en plus gros pour accommoder la grosseur des batteries, la production exige une plus grande quantité de matières. Plus de matières produites égale plus de GES.

Le déficit est particulièrement criant quand il s’agit d’une location. Au rythme habituel des cycles de location, soit deux ou trois ans, il est impossible de rattraper le déficit environnemental de la voiture électrique. Il en va de même pour un véhicule acheté qu’on gardera moins de cinq ans.

Il faut aussi évoquer le problème du dérèglement des écosystèmes causé par la construction de nouveaux barrages hydro-électriques et aussi par le minage du lithium et du cobalt. En Amérique latine, on s’inquiète de l’impact du minage sur l’eau potable des communautés les plus pauvres. Chez nous, des résidants de l’Abitibi s’inquiètent des impacts potentiellement dévastateurs sur la flore et sur la nappe phréatique2.

Des communautés cries dans le nord du Québec parlent des impacts néfastes sur des écosystèmes fragiles et aussi sur les espèces menacées. Les Cris du Québec et les communautés autochtones d’Amérique latine partagent le sentiment d’être sacrifiés pour un problème qu’ils n’ont pas créé3.

À ce constat peu encourageant, on pourrait ajouter le problème de l’exploitation des ouvriers, souvent des enfants, dans des pays pauvres comme le Congo, pour extraire le lithium et le cobalt. Des reportages très sérieux du Guardian4 et du New York Times5 ont bien documenté ce fléau.

Le véhicule électrique n’est pas une baguette magique qui va nous sauver des dérèglements climatiques. Au contraire, il crée de sérieux dilemmes éthiques et environnementaux sans pour autant régler le problème des GES.

Comme le soulignent plusieurs experts, il serait particulièrement judicieux de rediriger les subventions vers des solutions durables comme les transports collectifs, une solution qui a fait ses preuves ailleurs. Des projets avec des visées purement politiques, comme la construction du troisième lien à Québec, devraient susciter l’indignation collective. Avec la crise climatique qui frappe à nos portes, tout projet qui encourage la culture de l’automobile devrait être considéré comme irrecevable.

Individuellement, nous pouvons faire des choix écoresponsables. S’il n’est pas envisageable d’abandonner complètement notre voiture, on pourrait la conserver plus longtemps. On pourrait marcher davantage, rouler à vélo, voyager différemment, faire usage des transports collectifs disponibles, éviter les excès de vitesse, regrouper nos sorties, diminuer le nombre de véhicules par résidence, bouder les grosses cylindrées et surtout, diminuer notre consommation globale. J’ose espérer qu’il n’est pas trop tard pour faire des choix qui vont faire une réelle différence.

1. Regardez le reportage de Radio-Canada « Lithium : le mirage de la voiture électrique » 2. Regardez le reportage de Radio-Canada « Carbone : le lithium soulève l’espoir et l’inquiétude en Abitibi » 3. Lisez le texte de La Presse « Du lithium en pays cri : l’envers d’une énergie verte » 4. Lisez le reportage du Guardian (en anglais) 5. Lisez le reportage du New York Times (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion