La Loi sur la laïcité de l’État stipule, à l’article 5, que le Conseil de la magistrature doit établir des règles visant à ce que les principes de la laïcité énoncés dans la loi soient respectés dans les tribunaux relevant de sa juridiction. Cela concerne entre autres les juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales ainsi que le décorum des salles d’audience.

La laïcité définie dans la loi 21 repose notamment sur le principe de la neutralité religieuse « de fait et d’apparence » des institutions publiques. Cette exigence de neutralité réelle et apparente découle d’un jugement de la Cour suprême du Canada, celui du Mouvement laïque québécois contre la Ville de Saguenay.

Dans un document rendu public récemment, Les exigences de la laïcité au Québec, le Conseil arrive à la conclusion qu’il n’est pas nécessaire d’amender les codes de déontologie actuels puisqu’ils exigent déjà que les juges fassent preuve d’impartialité.

Le Conseil estime même que le port d’un signe religieux par un juge en fonction n’est pas en soi un manquement à son devoir de neutralité et qu’il appartient à chacun de déterminer, « en son âme et conscience », si un tel signe peut être porté ou non.

Impartialité et « neutralité apparente »

Dans un avis juridique adressé au ministre Jean-François Roberge en tant que responsable de la laïcité, le conseiller juridique du Mouvement laïque québécois, MLuc Alarie, fait valoir que le Conseil a manifestement confondu le devoir d’impartialité des juges et la neutralité religieuse « de fait et d’apparence ».

Les codes de déontologie des juges nommés par le Québec ne contiennent aucune disposition à l’égard des normes vestimentaires ou du port de signes politiques, religieux ou identitaires.

Il y a donc déjà là un premier motif justifiant la nécessité de rendre ces codes conformes aux exigences de la loi en matière de neutralité religieuse apparente du tribunal.

D’autre part, les règlements de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne et des cours municipales contiennent quant à eux des normes prescriptives sur la tenue vestimentaire, notamment des juges et des avocats qui doivent porter « la toge fermée ou avec veston noir, chemise, col et rabat blancs ». Ces règlements ne prévoient aucune dérogation à cette tenue en raison de croyances religieuses.

Non seulement ces règles ne sont pas toujours respectées, mais la neutralité réelle et apparente des tribunaux ne se limite pas à la tenue vestimentaire des juges et avocats. Les greffiers, huissiers, constables spéciaux et autres officiers de justice font également partie du décorum des salles d’audience. Il en va de même des crucifix, qui se trouvent encore dans certaines cours municipales, et des bibles qui sont encore présentes alors qu’elles ne sont aucunement nécessaires à la prestation de serment.

Les règles actuelles s’avèrent donc insuffisantes pour assurer la réelle neutralité des tribunaux et il appartient au Conseil de la magistrature de voir à l’adoption des règles nécessaires pour s’assurer que toutes les personnes relevant de son autorité respectent les exigences de la loi et que les objets de culte et signes religieux ne soient pas utilisés par ce personnel durant les audiences.

Nécessité de l’article 5

Il existe un principe largement reconnu en droit voulant que « le législateur ne parle pas pour ne rien dire ». Le gouvernement du Québec était manifestement au courant du contenu du Code de déontologie des juges ainsi que des règles vestimentaires lorsqu’il a adopté la loi 21. Si le législateur a cru nécessaire d’y insérer l’article 5, c’est qu’il considérait que ces normes sont insuffisantes pour assurer le respect de la loi.

Le Conseil de la magistrature, pas plus qu’aucun juge, n’a contesté la validité et la portée de l’article 5. Sa légitimité et sa nécessité en paraissent d’autant plus reconnues par tous.

Subséquemment au jugement de la Cour suprême évoqué plus haut, le Conseil de la magistrature du Canada a pour sa part jugé nécessaire d’ajouter un article à ses Principes de déontologie en précisant que les juges de nomination fédérale doivent éviter de porter des insignes montrant leur appui à une cause ou à un point de vue.

Si le Conseil de la magistrature du Québec persistait dans son désir de ne pas agir, on se retrouvera donc avec deux catégories de juges et face à la contradiction suivante : des juges fédéraux respectant les principes de la laïcité apparente, bien que nommés par le gouvernement fédéral qui conteste la loi 21, et des juges nommés par Québec qui s’abstiennent d’appliquer ces principes dans un État laïque.

Des avis mal fondés

Fait pour le moins étonnant, nous avons aussi appris, grâce aux démarches entreprises par le groupe Droits collectifs Québec, que le Conseil a sollicité l’avis de deux personnes non légalement qualifiées pour émettre des avis juridiques sur l’application de l’article 5. L’une de ces deux personnes est un opposant notoire à l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État.

Pour toutes ces raisons et sans porter atteinte à la séparation des pouvoirs entre le judiciaire et l’exécutif, le Mouvement laïque québécois demande expressément au ministre Jean-François Roberge de rappeler au Conseil de la magistrature son obligation de se conformer aux exigences de l’article 5 de la Loi sur la laïcité de l’État et d’assurer leur mise en œuvre.

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