(New York) Jusqu’à récemment, le président chinois Xi Jinping faisait grand battage de sa politique « zéro COVID » et se vantait que les États autoritaires à parti unique comme la Chine sont mieux équipés pour faire face aux pandémies (ou à toute autre crise) que les démocraties désordonnées, gênées par des politiciens égoïstes et des électorats inconstants.

Une telle doctrine a pu sembler plausible à beaucoup de gens en 2020, lorsque des centaines de milliers d’Américains mouraient et que l’ancien président américain Donald Trump vantait les médicaments antipaludiques et les injections d’eau de Javel comme remèdes contre la COVID-19.

Dans le même temps, Xi a imposé des restrictions rigides en cas de pandémie qui ont presque mis le pays tout entier à l’arrêt et ont contraint les gens à entrer dans des camps d’isolement. Pendant un certain temps, ce régime strict a paru limiter le nombre de décès dus à la COVID, comparé à la plupart des autres pays (bien que les statistiques du gouvernement chinois soient notoirement peu fiables).

Mais les coûts économiques élevés de la stratégie zéro COVID chinoise ont conduit les gens à un tel désespoir que certains sont finalement descendus dans les rues pour manifester. Mais Xi a continué à prétendre que le Parti communiste au pouvoir menait une « guerre du peuple » contre le virus et qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver des vies. Puis à la fin de l’année dernière, lorsque des manifestations ont éclaté dans les villes chinoises, la fin de la guerre a été soudainement déclarée. Plus de confinements, plus de combinaisons de protection, ni même de tests PCR réguliers.

Après les manifestations sans précédent de l’année dernière, il semble que la Chine considère aujourd’hui la COVID-19 comme étant inoffensive.

Mais en raison de la volte-face de Xi, de la mauvaise qualité des vaccins fabriqués en Chine et du faible taux de vaccination de la Chine, près de 9000 Chinois meurent probablement chaque jour et 18,6 millions d’habitants de tout le pays auraient été infectés depuis la levée des restrictions anti-COVID début décembre. Et la situation risque de facilement empirer.

Pouvoir total

Ces développements suggèrent que l’économiste indien Amartya Sen avait raison lorsqu’il a fait valoir en 1983 que les famines sont dues non seulement à un manque de nourriture, mais également à un manque d’information et de responsabilité politique. Par exemple, la famine du Bengale de 1943, la pire qui ait frappé l’Inde, s’est produite sous la domination de l’Empire britannique. Après l’indépendance de l’Inde, la liberté de la presse et le gouvernement démocratique du pays, bien que déficients, ont empêché des catastrophes similaires de se reproduire. La thèse de Sen a depuis été saluée comme une défense sans appel de la démocratie.

Bien que certains critiques aient fait remarquer que les gouvernements élus pouvaient également causer des dommages considérables, notamment une famine généralisée, Sen souligne qu’aucune famine n’a « jamais eu lieu dans une démocratie qui fonctionne ».

Le système chinois de gouvernement à parti unique, et de plus en plus à un seul homme, se formule dans le jargon communiste ou nationaliste, mais s’enracine dans la théorie fasciste. Le juriste allemand Carl Schmitt, qui justifiait le droit d’Adolf Hitler à exercer le pouvoir total, a inventé le terme « décisionnisme » pour décrire un système dans lequel la validité des politiques et des lois n’est pas déterminée par leur contenu, mais par la volonté d’un dirigeant omnipotent. En d’autres termes, la volonté d’Hitler était la loi. Le décisionnisme vise à éliminer les conflits de classe, les conflits entre factions et la pénible opposition politique. La volonté du peuple, souvent exprimée par un plébiscite truqué, est exercée par le chef qui décide au nom du peuple.

Le hic

La centralisation autocratique peut en effet avoir certains avantages. Les décisions par approche descendante, souvent mises en œuvre par des technocrates compétents, ont permis à la Chine de construire des chemins de fer à grande vitesse, des autoroutes sophistiquées, d’excellents aéroports (même les plus éloignés sont des merveilles modernes par rapport à JFK de New York ou à la plupart des autres grands aéroports des États-Unis) et même des villes entières en quelques années.

Lorsque le Parti a toujours raison, des éléments comme l’opinion publique ou le débat parlementaire ne peuvent pas lui faire obstacle.

Mais lorsqu’une véritable crise survient – tremblements de terre, pandémies, etc. –, la vulnérabilité du régime décisionniste paraît au grand jour. C’est pourquoi les dirigeants autocratiques doivent cacher ou embellir les statistiques et faire taire les critiques comme le Dr Li Wenliang de Wuhan, qui a signalé pour la première fois la menace de la COVID-19 en 2019 et a été publiquement critiqué pour « avoir répandu de fausses rumeurs » avant de mourir de cette maladie début 2020. Quoi qu’ils fassent, les dirigeants absolus et les partis qu’ils dirigent ne peuvent avoir tort.

Maintenir une façade

Aux États-Unis, en revanche, l’opinion des experts, les médias critiques et le risque de perdre l’élection présidentielle de 2020 ont forcé même ce maladroit de Trump à canaliser de grandes quantités d’argent dans la recherche et le développement de vaccins.

Malgré de nombreuses erreurs en cours de route et une obstruction perverse des démagogues et des promoteurs des théories du complot, la réponse démocratique à la pandémie s’est montrée conforme au livre de Sen : la presse et le l’opinion publique ont soigneusement examiné les statistiques officielles, la plupart des gens ont été vaccinés et les États-Unis, ainsi que d’autres démocraties occidentales, se sont peu à peu ouverts, en permettant aux gens de vaquer à leurs occupations en toute sécurité.

Même sans les aspirations absolutistes de Xi, cela aurait été difficile à réaliser en Chine. Pour justifier son monopole du pouvoir, le Parti communiste a dû maintenir une infaillibilité de façade, en rendant impossible la condamnation des erreurs les plus colossales, même rétrospectivement.

La famine des années 1950 dans tout le pays est souvent imputée au mauvais temps et aux catastrophes naturelles plutôt qu’au Grand bond en avant catastrophique de Mao Zedong. Alors même qu’au moins 30 millions de Chinois sont morts, les responsables ont gardé le silence, en craignant que cela puisse leur coûter la vie en agaçant le Grand Timonier par des mauvaises nouvelles.

Bien sûr, la Chine n’est plus aussi isolée que dans les années 1950, Xi n’est pas Mao et son processus décisionnel erratique ne fera probablement pas 30 millions de morts. Mais avec 9000 morts par jour, les coûts seront énormes. Et précisément parce que la Chine n’est plus isolée, les implications vont s’étendre bien au-delà des frontières chinoises. Les virus, après tout, voyagent, tout comme les perturbations économiques. Les dégâts infligés à la Chine par son régime autocratique finissent par tous nous blesser.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion