Artemis I a enfin pu décoller. Le grondement de ses réacteurs a couvert, l’espace d’un instant, les caquètements de ces hordes qui, ne « croyant pas » aux missions Apollo, se gaussaient de ses couacs répétés. Mais Artemis ramènerait-elle des clichés des sites d’alunissage originels (comme l’a fait le Lunar Reconnaissance Orbiter en 2011) qu’elle ferait aussi partie de la conspiration…

Les arguments de ces coucous, étalés sans gêne sur les réseaux sociaux, sont plus affligeants les uns que les autres. Mais le plus représentatif de cette époque qui fournit des mégaphones aux ignorants est qu’il aurait été « impossible » d’atteindre la Lune en 1969, puisqu’il n’y avait « pas d’ordinateurs ». On voit bien là la bêtise avérée de ces masses incapables de trouver un dépanneur sans téléphone. Il ne faudrait pas leur apprendre que l’Empire romain avait des aqueducs et l’eau courante, et ce, « sans ordinateurs » !

En plus, c’est faux. Les missions étaient assistées à bord par l’Apollo Guidance Computer. Armstrong a même dû ignorer un code d’erreur. Au sol, le vol était géré par des batteries d’IBM. L’expertise de calcul balistique assisté informatiquement remontait… à la Seconde Guerre mondiale. En 1946, une fusée V2 de Wernher von Braun, le père de la Saturn V, réalisait le premier cliché de la courbure terrestre. Ce moment inspirera Hergé.

Dès 1969, le Concorde, le X15 et le SR-71 établissaient des records aéronautiques encore inégalés. La Shelby Cobra 427 abattait le zéro cent en 4 secondes. Les Olympiques étaient diffusés mondialement en direct et en couleurs. L’électro de Tangerine Dream faisait planer. Le plus grand film de tous les temps était projeté en 70 mm. Des centrales atomiques fournissaient le courant. L’ARPANET existait. Ces technologies font sans doute aussi partie de la conspiration ! Kubrick est du reste souvent cité comme complice de la NASA…

Ce n’est pas tant qu’il n’y avait « pas d’ordinateurs » en 1969 qu’il n’y avait pas encore ces insupportables nounous électroniques pour faire bip-bip dans nos angles morts.

Nier Apollo, bouder Artemis, c’est ne même pas saisir sa propre époque, c’est ne pas voir l’accélérant social que ce programme a été par l’entremise de pléthoriques appels d’offres publics. Nous devons à Apollo le monde technologique contemporain : sans la NASA, pas de survoltage d’IBM ; sans IBM, pas de Gates ni de Jobs.

Certaines innovations d’Apollo tiennent encore de la science-fiction, telles ces centrales atomiques de la taille d’une valise, les SNAP-27, qui fournissaient l’électricité sur la surface lunaire (Apollo XVII est resté 12 jours sur la mer de la Sérénité et son rover lunaire électrique y parcourra 36 km). Recharger un véhicule électrique même à 100 mètres d’une borne reste encore un défi « en 2022 ».

Le programme Apollo a été le plus grand projet d’ingénierie de l’histoire de l’humanité. Une telle quantité de capital humain et financier a été consacrée à cet objectif pharaonique (jusqu’à 5 % de tout le PIB des États-Unis !) qu’il fait forcément figure d’anachronisme. Charles Lindbergh assistait, encore fringant à 67 ans, au décollage d’Apollo 11. Une pièce du Spirit of St-Louis a été déposée sur la Lune. Dans un souci de story-telling national dont seuls les Américains ont le secret, une figurine de Snoopy, en aviateur « Lone Beagle » – inspiré de Lindbergh – est à bord d’Artemis I.

Retourner sur la Lune, même « en 2022 », c’est rééditer cet exploit de A à Z ; c’est refaire les pyramides, mais « faster, better, cheaper ». Les défis physiques extrêmes restent les mêmes, et toute l’expertise mécanique est à rebâtir (comment assurer des joints d’hydrogène, de toute évidence).

Ce qui a généré l’impulsion originelle de la conquête lunaire est largement documenté : la guerre froide et la rivalité avec les Soviétiques, mais surtout la peur panique qu’avait engendrée Spoutnik.

Le calendrier des missions chinoises Chang’e est connu : des taïkonautes marcheront bientôt sur la Lune. Auront-ils l’élégance cruelle de visiter les sites Apollo originels ? Il suffit peut-être d’une pile fraîche pour faire fonctionner les rovers qui y sont garés, intacts, depuis 50 ans.

Artemis I n’est pas aussi ambitieuse que Chang’e 5, qui en 2020 a ramené un échantillon lunaire (à l’instar de la mission soviétique Luna 16 en 1970). Mais elle battra au passage un record établi par les Chinois, soit la plus grande distance atteinte par un module lunaire. Ce « détail » en dit long sur la nouvelle rivalité (spatiale, mais pas seulement !) qui est en train de s’établir.

Artemis et la colonisation de la Lune, puis de Mars, c’est le nécessaire « huge leap for mankind » du XXIe siècle. Cette nouvelle course entre superpuissances alimente l’innovation, et forge déjà le monde de demain. Un monde multipolaire est tellement plus intéressant.

Il sera aussi divertissant de voir les trésors d’imagination que déploieront les conspis lunaires pour nier l’actuelle mission et les prochaines ; après tout, nous avons « des ordinateurs » en 2022 et le tout sera diffusé live sur leur iPhone…

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