On apprenait la semaine dernière les déboires financiers du Groupe Sélection, un géant de l’industrie des résidences privées pour aînés (RPA) qui détient près d’une cinquantaine d’immeubles logeant environ 15 000 personnes âgées. Cette affaire met en lumière les risques de confier à une industrie privée la responsabilité d’assurer des soins et des services souvent essentiels pour les aînés.

Elle nous rappelle que lorsque ces services sont marchandisés, leur pérennité dépend des décisions d’affaires de dirigeants d’entreprises à but lucratif, qui n’ont de comptes à rendre qu’à leurs actionnaires et créanciers.

Dans un rapport de recherche publié l’année dernière, nous exprimions des inquiétudes à l’égard du modèle d’affaires qui, sous l’impulsion des grandes chaînes de résidences comme Sélection, tend à s’imposer au sein de l’industrie québécoise des RPA.

Une reconstruction minutieuse des structures de propriété multiniveaux des principaux « fleurons québécois » du secteur a permis de constater que derrière plusieurs d’entre eux se trouvent en fait de grandes multinationales financiarisées.

Dans plusieurs cas, ces multinationales sont des fonds d’investissement immobiliers qui, par nature, sont structurellement contraints de garantir à leurs investisseurs un rendement rapide et toujours croissant.

La recherche a également révélé des similitudes frappantes avec les chaînes de résidences présentes aux États-Unis et en Grande-Bretagne, qui sont dans certains cas possédées par les mêmes multinationales que celles actives au Québec. Des chercheurs ayant analysé les rapports financiers des résidences britanniques ont montré que les structures de propriété ultracomplexes de ces grandes chaînes sont associées à des pratiques d’extraction de profit intensive au détriment des services aux résidants, à des stratégies agressives d’optimisation fiscale et à une croissance fulgurante des actifs financée par des stratégies d’endettement risquées qui, dans certains cas, ont conduit à des faillites spectaculaires.

Il est difficile de savoir dans quelle mesure les grandes chaînes de résidences québécoises mettent en œuvre ce genre de pratiques. En effet, malgré les fonds publics importants qui y sont investis par l’entremise du crédit d’impôt pour le maintien à domicile des aînés (plus d’un demi-milliard de dollars par année) et bien que les RPA remplissent une mission d’intérêt public, les résidences québécoises ne sont pas contraintes comme en Grande-Bretagne de rendre publics leurs rapports financiers.

On sait néanmoins qu’au Québec, l’industrie de l’hébergement pour personnes âgées est globalement très profitable. Les données de Statistique Canada montrent que, d’une année à l’autre, c’est au Québec qu’est empochée la part du lion des profits générés dans ce secteur au Canada. Durant l’année pandémique, alors que les personnes âgées mouraient massivement dans les RPA du Québec, les entreprises du secteur ont engrangé 40 % des bénéfices d’exploitation réalisés au pays, et la province est l’une des seules où ces bénéfices ont connu une augmentation malgré la crise sanitaire (ils ont bondi de 11 % entre 2019 et 2020). Le Québec est aussi la province où les marges bénéficiaires d’exploitation de l’industrie sont les plus élevées (13,6 % en 2020), loin devant la deuxième place (occupée par la Colombie-Britannique, à 10,1 %) et l’ensemble du Canada (9,2 %).

Ce portrait général, qui pourrait donner l’impression d’une industrie québécoise très vigoureuse, masque cependant des fragilités importantes. D’une part, le marché est caractérisé depuis plusieurs années par un déclin marqué des résidences de petite taille qui, avec les modifications réglementaires et les transformations de l’environnement concurrentiel imposées par le développement des grandes chaînes de résidences, ne semblent plus être en mesure de tirer leur épingle du jeu.

D’autre part, ce déclin se fait au profit de ces grandes chaînes, qui concentrent une part grandissante des logements offerte sur le marché (35 % sont entre les mains des cinq principaux acteurs de l’industrie).

La croissance extrêmement rapide des groupes comme Sélection, dont l’actif a quintuplé depuis 2014, passant de 1 à 5 milliards de dollars, pourrait être perçue comme un signe de santé financière. Or, les cas états-uniens et britanniques, et maintenant celui de Sélection, font craindre que ces entreprises ne soient en fait des géants au pied d’argile.

Depuis plusieurs décennies, les gouvernements successifs se sont lourdement appuyés sur l’industrie des RPA, qu’ils ont généreusement financée, pour assurer aux aînés du Québec des services à domicile et d’hébergement essentiels. Comme durant la pandémie, il est probable que l’État soit appelé au chevet de l’industrie pour pallier les défaillances du Groupe Sélection. En cela, ce cas nous révèle la nécessité en même temps qu’il constitue une occasion de revoir en profondeur le modèle québécois de services aux aînés.

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