En réponse au texte de Mario Polèse « Trois leçons pour le Québec⁠1 » publié le 12 novembre

Dans son texte « Trois leçons pour le Québec » tirées de l’expérience politique américaine, le professeur Mario Polèse conclut que les graves problèmes que rencontre aujourd’hui la démocratie de nos voisins du Sud devraient nous inciter à maintenir nos institutions politiques à l’anglaise, y compris le mode de scrutin.

« Notre système majoritaire uninominal à un tour n’est pas parfait, mais a au moins le mérite de produire un paysage politique fluide où des partis naissent et meurent et où les transfuges politiques sont monnaie courante », écrit-il en ajoutant que nous devrions conserver le vieux système électoral britannique parce qu’il est « simple et facilement compréhensible par le commun des mortels ».

Curieuse et surprenante conclusion quand on sait que les élections américaines se font selon le même mode de scrutin que le nôtre ! En réalité, il y a d’autres éléments dans les institutions électorales américaines qui expliquent pourquoi il n’y a que deux partis au lieu de plusieurs comme maintenant chez nous, lesquels sont souvent issus de transfuges des plus vieux partis. Et cela n’a rien à faire avec le mode de scrutin.

Sans aller dans tous les détails, l’explication est liée aux procédures de nomination des candidats, procédures déterminées individuellement dans chaque État, même pour les postes au Sénat et à la Chambre des représentants au niveau fédéral, à Washington.

Le bulletin de vote est la propriété des législatures des États dominées par l’un ou l’autre des deux partis. À la fin des années 1800, une réforme a donné aux législatures des États le pouvoir de déterminer qui était qualifié pour être sur le bulletin de vote. Les législatures contrôlées essentiellement par les républicains et les démocrates ont rapidement compris qu’elles pouvaient utiliser ce pouvoir pour étouffer les tiers partis émergents et bloquer la voie aux transfuges désireux de proposer de nouvelles options. Les deux grands partis se sont en somme attribué des lignes automatiques sur le bulletin de vote tout en instituant des exigences de pétition onéreuses pour entraver la reconnaissance des nouveaux partis et ainsi monopoliser la scène parlementaire.

Donc, ce qui se passe aux États-Unis n’a rien à voir avec le mode de scrutin qui, encore une fois, est le même que chez nous !

Par ailleurs, en démocratie représentative, l’objectif est et devrait être l’obtention d’un Parlement où les grandes tendances politiques sont présentes selon le principe fondamental de l’équité, donc du respect de la volonté exprimée par l’électorat. La fluidité bien comprise serait donc d’avoir un système électoral qui n’érige pas, comme c’est le cas des blocages systémiques pour empêcher que chaque vote compte et compromettre ainsi une juste représentation parlementaire en contradiction avec les principes d’une véritable démocratie. Au fait, ces blocages existent autant chez nous qu’aux États-Unis.

À ce propos, il faut savoir que là-bas, l’élection est limitée dans les faits à un petit nombre de circonscriptions contestées dites « violettes » (purple). Les électeurs républicains dans les districts démocrates « bleus » et les électeurs démocrates dans les districts républicains « rouges » ne sont pas représentés à Washington, tout comme au Québec, ne sont pas représentés tous les citoyennes et les citoyens qui n’ont pas voté pour la CAQ dans les circonscriptions remportées par ce parti.

Détournement de valeurs

Prétendre sans trop le dire ouvertement que le système qui, le 3 octobre dernier, a fait en sorte qu’un pouvoir absolu fondé sur une majorité parlementaire de 90 députés sur 125 a été accordé au Québec à un chef politique qui a obtenu un peu moins de 41 % des voix est une bonne chose sur le plan démocratique est un détournement des valeurs démocratiques que l’on se targue de promouvoir.

Brandir le spectre de la « maladie démocratique américaine » pour nous inciter à conserver notre vieux mode de scrutin n’est pas un argument de sagesse.

Le mode de scrutin que René Lévesque a proposé en 1968 sous l’inspiration de l’expérience allemande, celui que le gouvernement de Jean Charest a proposé en 2004 sous l’inspiration du même modèle et celui que la Coalition avenir Québec, le Parti québécois, Québec solidaire et le Parti vert ont proposé ensemble en 2016 et 2018 aussi inspiré du modèle allemand, version écossaise, mérite mieux qu’une condamnation volée, simpliste et lapidaire. Comme le système britannique qui est le nôtre depuis 1792, il n’est pas parfait. En fait, aucun système n’est parfait ! Mais il a le grand avantage de permettre une vie démocratique plus équilibrée, véritablement plus fluide, plus satisfaisante et moins frustrante pour les perdants, obligeant les partis à des compromis et à un partage de l’exercice du pouvoir. L’Allemagne, l’Écosse, la Nouvelle-Zélande sont non seulement des modèles démocratiques plus dignes d’inspiration que les États-Unis d’Amérique mais également que le Canada, le Québec et le Royaume-Uni !

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