L’électricité a été très présente dans la campagne électorale. La CAQ a évoqué la construction rapide de barrages. Le PLQ rêvait d’un programme massif de production d’hydrogène vert. Au lendemain du scrutin, l’enjeu a refait surface, avec les réticences suscitées par le passage du ministère de l’Énergie sous le contrôle de celui de l’Économie.

C’est une excellente chose que l’utilisation de notre électricité sobre en carbone fasse l’objet d’un débat public. Mais pour que celui-ci soit fructueux, il faut poser les bonnes questions. À quoi doit servir notre électricité ? À quels usages et utilisateurs doit-on l’attribuer ? Selon quels critères ? Qui doit décider ?

Ce sont sur ces questions que nous nous sommes penchés dans une étude de l’Institut du Québec, où nous avons proposé un cadre et des critères pour nous aider à identifier les utilisations les plus porteuses, tant pour la décarbonation que pour le développement économique.

Lisez l’étude de l'IDQ

Mais un débat serein doit d’abord reposer sur des faits probants et sur une information complète. Pour cela, il faut dissiper les bruits de fond nourris par deux mythes.

Le premier, c’est qu’il y aurait une pénurie d’électricité. Selon les projections des experts que nous avons consultés, les ressources actuelles, ainsi que celles qu’Hydro-Québec pourra normalement ajouter à son parc de production, suffiront à combler les besoins d’ici l’horizon 2050, même si Hydro-Québec prévoit que cette demande augmentera de 50 %, soit 100 TWh de plus. La marge de manœuvre sera encore plus grande si on s’attaque résolument à améliorer l’efficacité énergétique.

Rappelons que l’idée de pénurie circule parce que la marge de manœuvre d’Hydro-Québec s’est réduite depuis qu’elle a consacré 30 des 40 térawattheures de ses surplus à deux contrats d’exportation ferme aux États-Unis.

On ne manque pas d’électricité, on a choisi de la vendre ailleurs.

Le second mythe, c’est qu’on vend l’électricité à rabais aux industries. Avec un coût de production d’environ 2 cents, Hydro-Québec fait de l’argent avec ses tarifs industriels, à un tel point qu’on assiste à un phénomène d’interfinancement, où les marges de profit sur les ventes industrielles subventionnent les tarifs des consommateurs. Quant à l’avenir, le coût de 11 cents, souvent évoqué, ne correspond ni aux coûts actuels ni au coût prévisible des nouvelles fournitures, mais semble plutôt correspondre au coût éventuel de futurs barrages, dans 20 ou 30 ans… si on les construit.

L’important, c’est de se souvenir qu’avec les ressources actuelles, les ajouts prévisibles, une accélération des efforts d’efficacité, et encore plus si un des contrats avec les États-Unis tombe à l’eau, le Québec dispose de l’électricité nécessaire pour décarboner et assurer le développement économique si, bien sûr, on fait preuve de discernement dans le choix des projets industriels.

Pour cela, il faut établir une échelle des priorités. L’électricité propre doit d’abord servir à l’atteinte des cibles de décarbonation.

En raison de l’importance intrinsèque de l’enjeu, et aussi parce que le Plan pour une économie verte du gouvernement Legault repose en très grande partie sur l’électricité verte pour réduire les GES. On ne peut pas à la fois miser sur Hydro-Québec pour la décarbonation et ne pas faire de cette décarbonation une priorité pour la société d’État !

Ensuite, l’allocation des ressources électriques destinées au développement économique doit s’inscrire dans un cadre stratégique, qui n’existe pas pour l’instant. Cela explique par exemple qu’on ait affecté autant de ressources aux exportations, quand celles-ci ont un impact insignifiant sur la croissance économique, en comparaison avec la transformation de l’électricité sur le territoire québécois.

Ce cadre, pour les nouveaux projets, doit aller au-delà de l’ampleur des investissements ou de l’impact immédiat sur les indicateurs économiques, et doit prendre en compte la valeur ajoutée et les facteurs qui renforceront le potentiel de l’économie de Québec et soutiendront ses efforts pour élever le niveau de vie.

Ce cadre stratégique, avec des objectifs et des critères, protégerait nos décideurs des engouements éphémères. Pensons aux chaînes de blocs, aux centres de données, à la production massive d’hydrogène, qu’on a vus pendant un certain temps comme des voies d’avenir pour l’électricité.

Il nous protégerait aussi de la tentation de la fuite en avant.

Notre potentiel électrique n’est pas un plat de bonbons. Les ressources sont limitées.

Une multiplication de projets pourrait nous forcer à construire des barrages dont nous n’aurions autrement pas besoin et ne pourrait pas être qualifiée d’investissement collectif rentable.

La même logique doit s’appliquer à la décarbonation. Là aussi, il y a des utilisations plus porteuses, qui soutiennent davantage la capacité du Québec d’atteindre ses cibles de réduction de GES.

Le développement d’un tel cadre stratégique pourrait enfin jouer un rôle de garde-fou pour atténuer le problème de gouvernance suscité par le passage d’Hydro-Québec sous la coupe du ministère de l’Économie. Les inquiétudes seraient moins grandes si le Québec se dotait de balises, c’est-à-dire des priorités claires et une vision qui encadrerait l’utilisation de cette ressource précieuse qu’est l’électricité.

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