Dans le numéro de La Presse du 15 octobre dernier paraissait une chronique de Denis Lessard intitulée : « Il y a 25 ans – Mulroney reçoit des excuses de Chrétien : une victoire bien éphémère »1.

M. Mulroney n’a jamais reçu d’excuses de Jean Chrétien dans l’affaire Airbus. En fait, M. Mulroney n’a jamais exigé d’excuses de la part de M. Chrétien, et il est peu probable qu’il les aurait acceptées si elles lui avaient été offertes.

Il pourrait donc être bon d’établir une chronologie de cette affaire complexe qui pourrait s’avérer utile aux lecteurs qui ont lu le texte original de M. Lessard.

Cependant, avant d’aborder des sujets plus importants, je note en passant que M. Lessard a déclaré que William Kaplan était l’avocat de M. Mulroney. Bien que M. Kaplan soit avocat, il n’a jamais été l’avocat de M. Mulroney.

En septembre 1995, le gouvernement du Canada et la GRC ont envoyé une lettre de demande d’assistance au gouvernement suisse, l’équivalent d’un affidavit à l’appui d’un mandat de perquisition. Dans cette demande, ils ont affirmé que M. Mulroney était impliqué dans un complot en cours visant à frauder le gouvernement du Canada de millions de dollars.

En novembre 1995, après que cette lettre rogatoire soi-disant « confidentielle » a été divulguée aux médias, M. Mulroney a intenté une poursuite en diffamation devant la Cour supérieure du Québec à Montréal.

Dès juin 1996, le gouvernement suisse informa le gouvernement canadien et la GRC qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui des accusations portées contre M. Mulroney.

En janvier 1997, le gouvernement du Canada et la GRC, ne voulant pas être exposés en audience publique pour les évènements ayant mené aux accusations, ont conclu une entente de règlement avec M. Mulroney dans laquelle ils s’excusaient auprès de lui, de sa femme et de ses enfants. Les excuses se lisent en partie comme suit : « Toutes les conclusions d’actes répréhensibles de la part de l’ancien premier ministre étaient — et sont — injustifiées. »

En avril 2003, le commissaire de la GRC Zaccardelli, pleinement informé de l’arrangement commercial de M. Mulroney avec M. Karlheinz Schreiber, a écrit à M. Mulroney, pour lui annoncer la clôture de l’enquête sur les allégations d’actes répréhensibles en relation avec MBB Helicopters, Thyssen et Airbus, parce qu’elles ne pouvaient être étayées.

En novembre 2007, M. Schreiber, tentant désespérément d’empêcher son extradition vers l’Allemagne pour évasion fiscale, a signé un affidavit qui est devenu la cause immédiate de ce qui allait devenir la commission d’enquête Oliphant.

Dans cet affidavit, M. Schreiber a fait quatre allégations principales, dont deux, si elles avaient été vraies, auraient été des violations de la Loi sur le Parlement du Canada et du Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat des titulaires de charge publique de 1985 qui était en vigueur à cette époque.

M. Schreiber a allégué que le 23 juin 1993, deux jours avant que M. Mulroney ne quitte son poste de premier ministre du Canada, ils avaient noué une relation d’affaires.

Cependant, le commissaire Oliphant a déclaré : « M. Mulroney n’a conclu aucun accord avec M. Schreiber alors qu’il était premier ministre en exercice. »

M. Schreiber alléguait également que cette entente obligeait M. Mulroney à soutenir ses démarches pour obtenir l’autorisation d’établir une usine de production de véhicules blindés légers par Bear Head Industries Limited en Nouvelle-Écosse ou au Québec en faisant du lobbying auprès des autorités gouvernementales canadiennes.

Le commissaire Oliphant a déclaré : « Je rejette la preuve de M. Schreiber selon laquelle le mandat de M. Mulroney était de nature nationale. J’accepte le témoignage de M. Mulroney selon lequel le mandat avait une portée internationale. »

Ces mensonges n’ont pas surpris le commissaire. Comme il l’a conclu : « [Schreiber] a reconnu qu’il aurait fait “n’importe quoi” dans sa quête d’une enquête publique. »

Dans son rapport, le commissaire Oliphant est également arrivé à deux autres conclusions dignes de mention.

Le commissaire a conclu : « Il n’y a aucune preuve que pendant qu’il [Mulroney] était titulaire d’une charge publique — c’est-à-dire premier ministre —, il a reçu de M. Schreiber un avantage qui aurait pu l’influencer dans son jugement et dans l’exercice de ses fonctions officielles. »

En ce qui concerne Airbus, le commissaire Oliphant a conclu : « La seule façon de lier M. Mulroney à l’affaire Airbus est de spéculer ou d’approuver le concept de culpabilité par association. Sur la base de mon sens de l’équité et de mon expérience en tant que juge de première instance pendant vingt-cinq ans, je ne suis pas prêt à me livrer à l’un ou l’autre. »

M. Lessard a également évoqué le témoignage d’Allan Rock devant le Comité d’éthique en 2008, dans lequel l’ancien ministre de la Justice a déclaré que si le gouvernement du Canada avait été au courant de l’arrangement commercial entre M. Mulroney et M. Schreiber, il n’aurait peut-être pas présenté d’excuses et ainsi réglé la question du procès en diffamation.

Il s’agit d’un rapport incomplet et donc inexact du témoignage de M. Rock.

Premièrement, M. Rock a admis que la GRC avait eu tort de conclure que M. Mulroney s’était livré à des activités criminelles et c’est cette conclusion scandaleuse qui était à la base de l’entente de règlement de 1997.

« Le conseil que j’ai reçu du ministère [de la Justice], a déclaré M. Rock, avec lequel j’étais d’accord, était que l’essentiel de la raison pour laquelle nous nous sommes excusés auprès de M. Mulroney était le langage utilisé dans la lettre de demande, et si vous lisez ce langage, vous verrez que c’était concluant. Nous sommes habitués au langage qui dit qu’il est allégué que telle ou tel chose a eu lieu, mais ce langage, alors qu’il dit parfois cela, va beaucoup plus loin que cela. Il affirme en fait qu’il y a eu une activité criminelle. C’est pourquoi des excuses ont été présentées. »

Deuxièmement, il est important de noter qu’on a spécifiquement demandé à M. Rock à ce moment-là s’il avait des preuves à offrir d’actes répréhensibles commis par un agent public concernant l’arrangement commercial de M. Mulroney avec Schreiber ou l’achat d’avions Airbus par Air Canada, et sa réponse a été : « NON. »

Après plus de 20 ans d’enquêtes sur l’affaire Airbus, qui comprenaient une enquête d’Air Canada, une enquête de Transports Canada, une enquête du Comité des transports de la Chambre des communes, quatre enquêtes de la GRC, une enquête du Comité d’éthique de la Chambre des communes et une enquête publique, aucun acte répréhensible de la part de M. Mulroney n’a jamais été trouvé.

L’affaire Airbus était, comme l’a conclu Philip Mathias du Financial Post, « la souris qui a rugi. »

M. Mulroney est un ami proche que j’ai secondé pendant toute la période de ce que tous appelaient « l’affaire Airbus ». Je tenais à publier cette mise au point.

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