Quelques jours après le vote de lundi, alors que la poussière retombe, on est en mesure de mieux mesurer la portée des résultats.

D’abord, François Legault a remporté une victoire encore plus décisive qu’en 2018. Le succès électoral de la Coalition avenir Québec est majeur. La légitimité de son gouvernement s’en trouve également renforcée. De leur côté, les partis de l’opposition n’échapperont pas aux questionnements qu’implique la défaite électorale.

Il ne s’agit toutefois pas d’une élection comme les autres. Puisqu’elle confirme clairement un réalignement électoral1, cela leur impose maintenant de sérieuses remises en question.

En 2018, plusieurs observateurs ou chroniqueurs avaient expliqué l’élection de la CAQ par l’usure du Parti libéral du Québec. En somme, selon eux, la Coalition avenir Québec avait eu le mérite de fédérer le vote antilibéral et ne bénéficiait pas d’un vote d’adhésion. Bref, un rétablissement du système partisan allait certainement se produire aux prochaines élections. En 2022, certains de ces mêmes observateurs ont développé un nouveau narratif pour expliquer la victoire de François Legault. Elle serait causée par les distorsions associées à un mode de scrutin épouvantable. C’est pourtant le même qu’au niveau fédéral, le même qu’en 2018 et le même qui a déjà assuré la victoire tant au PQ qu’au PLQ. Or, la CAQ a recueilli, tant en nombre de votes absolus qu’en pourcentage, un meilleur résultat que celui d’il y a quatre ans. Les chiffres ont le mérite d’être têtus.

De nouveaux comportements, de nouveaux débats

Avec 41 % des suffrages comparativement à 37,5 % en 2018, la CAQ a engrangé 176 000 électeurs de plus. Pendant ce temps, Québec solidaire a perdu près de 15 000 électeurs et arrive second avec 15,4 % du vote. Les libéraux ont perdu plus de 400 000 voix et se retrouvent à 14,4 % et le PQ près de 90 000 à 14,6 %. Dans la foulée de la pandémie, les conservateurs peuvent se targuer d’avoir enregistré un gain de 470 000 électeurs, mais ferment toutefois la marche à 12,9 %.

Alors, quel sens donner à la victoire de la CAQ ? En science politique, elle vient confirmer le réalignement du système partisan2. Le PQ et le PLQ, partis autrefois dominants, ont poursuivi leur déclin. Relégués au troisième et quatrième rang du suffrage populaire, ils ont d’ailleurs tous les deux obtenu les pires résultats de leur histoire. Des circonscriptions considérées comme des châteaux forts sont tombés. Pensons à Jonquière au Saguenay, aux deux circonscriptions de la Côte-Nord, à Verdun ou à Anjou–Louis-Riel sur l’île de Montréal.

Une analyse des résultats selon les régions aide d’ailleurs à comprendre l’ampleur de ce changement. Seule la CAQ fut compétitive dans l’ensemble des régions administratives du Québec. Le PLQ n’a en moyenne recueilli que 6 % dans la région de Québec et à peine 8 % à l’extérieur des régions métropolitaines de Montréal et de Québec3. Une analyse régionale encore plus fine illustre l’écrasement du vote libéral.

Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où Philippe Couillard était pourtant élu en 2018, les libéraux ont en moyenne obtenu des résultats inférieurs à 4 %. Sur la Côte-Nord, c’est encore pire à 3 %.

Nous sommes maintenant en présence de sous-systèmes partisans où les adversaires les plus compétitifs varient selon les régions. Dans Chaudière-Appalaches, au Centre-du-Québec et en Maurice, ce fut un duel entre la CAQ et les conservateurs. À Québec, cela incluait QS. Dans l’est du Québec, sur la Côte-Nord et au Saguenay–Lac Saint-Jean, la CAQ était plutôt en concurrence avec le PQ, alors que la lutte se déroulait avec le PLQ et QS dans la région de Montréal. Nous assistons à un éclatement du vote des partis de l'opposition. Ils peuvent même être considérés comme ayant des électorats plus nichés. C’est d’ailleurs le cas du PLQ avec le vote anglophone.

La dynamique du système partisan québécois a changé. Les résultats de l’élection de 2022 l’ont confirmé. Le bipartisme associé au clivage Oui-Non à l’indépendance qui a dominé le paysage politique pendant plus de 50 ans n’est plus central. Il a fait place à un nouvel environnement politique où les enjeux sont beaucoup plus éclatés. Nous avons maintenant droit à des débats sur la place de l’État, sur le privé en santé et la taxation. Des débats sur les différents modèles du vivre ensemble et de l’intégration des immigrants ont marqué cette campagne. Nous assistons aussi à l’émergence d’une place plus importante des enjeux associés aux changements climatiques.

Aucun mode de scrutin n’est parfait et le débat se poursuivra assurément. Cela ne doit cependant pas servir de justification pour entretenir une rhétorique portée par des acteurs qui seraient tentés de nier tout réalignement. En plus de banaliser l’importance des changements qui se produisent sous nos yeux, cela aurait pour effet de miner la démocratie québécoise. Nous avons au contraire un système électoral qui fait l’envie de plusieurs.

Sur le plan historique, il faut remonter à l’époque de Robert Bourassa pour voir un premier ministre remporter deux mandats majoritaires consécutifs. Les deux victoires de François Legault ne sont pas arrivées par accident. Elles illustrent plutôt un changement majeur dans le comportement électoral des électeurs québécois4 et dans la saillance des enjeux qui expliquent leur vote.

1. Consultez la dernière publication de Recherches sociographiques, « Réalignements et transformations politiques au Québec : conséquences et perspectives » 2. Lisez la lettre d’opinion « L’enjeu du réalignement politique » 3. Lisez l’article « Seule la CAQ a été compétitive partout » 4. Consultez le livre Le nouvel électeur québécois

* Eric Montigny est chercheur à la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires et au sein du Groupe de recherche en communication politique.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion