En cette fin de campagne électorale, mois sacré où ceux qui veulent représenter le peuple font valoir leurs raisons, motivations et projets auprès des électeurs, je voudrais vous parler de démocratie. Je veux rappeler que ce moins pire des systèmes, qu’Abraham Lincoln définissait comme « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », n’est pas une exclusivité humaine.

Pour une espèce centrée sur son nombril comme la nôtre, la recherche sur les origines du suffrage universel ne pouvait pas regarder ailleurs que dans son histoire. Le consensus veut qu’Athènes soit le lieu de naissance de la démocratie occidentale. Le terme démocratie vient d’ailleurs du grec ancien « dêmos », qui signifie « peuple », et « kratos », qui réfère au pouvoir. Elle est donc un système politique où le pouvoir est entre les mains du peuple. Aujourd’hui, il est permis de se demander si c’est véritablement le cas dans bien des démocraties libérales, mais ma chronique ne porte pas sur les dérives de la démocratie.

Alors, je vais revenir à mon sujet et en dire davantage sur l’origine du suffrage universel en laissant de côté notre vision anthropocentrique de la création. En effet, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de formations politiques dans le monde animal qu’il ne faut pas y chercher des traces de cette façon de se diriger. Après tout, la vie en société impose aussi aux animaux de prendre des décisions où l’intérêt collectif doit primer sur les besoins individuels. Une façon de renforcer la cohésion sociale et d’amenuiser les risques de conflits et de mortalité dans le groupe. Alors, bien avant que Sapiens ne se pointe sur la planète, la nécessité de placer le groupe avant l’individu a amené des animaux sociaux à adopter le suffrage individuel. On estime qu’entre 20 et 30 % des mammifères vivent en groupe.

Permettez-moi de vous donner ici quelques exemples d’animaux qui pratiquaient une forme de démocratie bien avant qu’Athènes ne soit un projet.

Dans les écosystèmes des savanes africaines vivent les lycaons, appelés aussi les chiens sauvages. Ces canidés sociaux qui chassent en meute sont peut-être les superprédateurs les plus efficaces de la planète. Même les grands félins et les hyènes évitent de se frotter à ces véloces et redoutables chiens. Les scientifiques ont démontré qu’avant d’aller à la chasse, les lycaons « passent au vote » pour déterminer s’il faut ou non entreprendre cette battue. Un à un, les individus éternuent pour manifester leur consentement. Lorsque le quorum est atteint, la troupe se met en marche même si les individus dominants sont contre. Dans le cas contraire, il faut rester à la tanière et attendre un moment plus propice et repasser au « vote ».

J’ai pensé proposer cette méthode pour choisir le gagnant des élections, mais Luc Boileau, directeur de la Santé publique, m’a fait comprendre que rassembler des milliers de gens pour un éternuement collectif n’est pas une façon intelligente de célébrer la démocratie à l’heure de la COVID-19. De plus, avec le rhume des foins qui affecte une part de plus en plus grande de la population, le risque serait grand de voir les non-allergiques sombrer en déficit démocratique ou les preneurs d’antihistaminiques incapables d’exercer leur droit de vote.

Chez les macaques de Tonkean, en Indonésie, les travaux du chercheur belge Cédric Sueur ont démontré une autre façon « démocratique » de prendre des décisions qui permet de satisfaire la majorité et de garder la cohésion sociale. Avant de partir pour une expédition dans la forêt, le choix de la destination se fait après un « vote ». Ici, un individu va sortir du groupe et avancer de quelques mètres dans la direction qu’il souhaite prendre. C’est sa façon d’indiquer son intention. Ceux qui veulent aller dans la même direction doivent alors l’imiter. Pendant ce temps, des opposants aux projets bien différents peuvent s’avancer vers d’autres directions en espérant aussi convaincre le groupe. À la fin de cet exercice très démocratique, la troupe partira dans la direction qui a reçu le plus de « votes ». Les perdants n’ont alors pas le choix de reconnaître leur défaite et de se plier à la volonté de la majorité. L’histoire ne dit pas si les perdants félicitent le gagnant ou si, comme le président Trump, ils partent très amers en racontant qu’on leur a volé les élections. Ah non, c’est vrai, les gros orange, ce sont les orangs-outans, pas les macaques. Les macaques ne s’adonnent pas à de telles singeries.

Même s’ils n’ont pas de bulletins de vote, des exemples de pratique démocratique abondent chez les mammifères sociaux.

Si les lycaons éternuent et les macaques de Tonkean s’orientent vers une direction, les cerfs élaphes se dressent sur leurs pattes arrière pour exercer leur droit de « vote » et visent près de 60 % d’avis favorables avant de partir vers une destination.

Évidemment, chez les animaux, le concept de leadership n’a jamais été à la mode non plus. Oui, il y a des individus dominants par leur expérience de vie ou leur force, mais leur rôle est plus cantonné à la gestion des tensions qu’à la prise des décisions. Ainsi, chez les orques et les éléphants, ce sont les matriarches dépositaires d’une grande expérience dans l’école de la vie qui dirigent les hardes. C’est un peu l’inverse de l’Amérique de la dernière décennie où ce sont les vieux mâles qui dirigent.

Lorsqu’on parle de démocratie, il est presque sacré de répéter que les Athéniens en sont les inventeurs. Pourtant, le suffrage universel existait dans le monde animal et probablement aussi dans beaucoup d’autres tribus qui n’ont pas écrit leur histoire dans des livres, car il est simplement une règle très efficace pour bien vivre en société. Peut-être faudrait-il le rappeler à celles et ceux qui placent en toutes choses l’individu au-dessus de la collectivité.

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