En l’espace de quelques jours la semaine dernière, deux femmes ont été tuées à Montréal. Ces meurtres ont suscité très peu d’attention dans les médias ou parmi nos leaders politiques – sans doute parce que les actes ne cadrent pas avec le discours dominant sur la violence à Montréal.

En effet, les meurtriers présumés de Gisèle Itale Betondi et de Viergemene Toussaint étaient leurs ex-conjoints, pas un membre d’un gang de rue. Les deux se sont servi d’un couteau, pas d’une arme à feu. Contrairement au discours dominant, ces faits font des meurtres des incidents plus représentatifs de la violence dans la métropole, et non l’inverse.

Depuis plus de deux ans, le discours dominant sur les armes à feu à Montréal est fondé sur une conception partiale et trompeuse de la situation.

L’un des problèmes tient au fait que c’est le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui a la mainmise sur les données liées à criminalité, et qu’il a tendance à communiquer seulement l’information la plus alarmante au sujet de la violence armée.

Le rapport annuel du SPVM pour 2021, publié en juillet dernier, contenait des données sur les crimes contre la personne impliquant une arme à feu. Celles-ci ne concernaient toutefois que deux années (bien que des données soient disponibles pour quatre années) et trois catégories de crime (bien que des données soient disponibles pour six catégories). Les données publiées révélaient une hausse alarmante de la violence armée, à savoir trois fois plus d’homicides et deux fois plus de décharges d’armes à feu en 2021 qu’en 2020.

Mais qu’en est-il des catégories et des années manquantes ? Ces données supplémentaires, que le SPVM a mis deux mois à me fournir, en disent long. Ce n’est peut-être pas une coïncidence que deux des trois catégories manquantes – agressions sexuelles et vols qualifiés – aient diminué entre 2018 et 2021. La troisième catégorie, celle des voies de fait, comprend des décharges d’armes à feu. Ces crimes ont augmenté de 2018 à 2021, mais bien moins que la partie de la catégorie (décharges) que le SPVM a choisi de publier.

Si l’on tient compte de ces données supplémentaires, on constate que la criminalité armée affiche une hausse modeste de 3 % entre 2018 et 2021.

Des données exclues

Il s’agit de la deuxième année consécutive où des données pertinentes sont exclues du rapport annuel du SPVM, exagérant du même coup la menace des armes à feu. Comme je l’ai expliqué dans un article publié dans La Presse l’année dernière⁠1, le SPVM soutenait dans son rapport de 2020 que la violence armée avait augmenté de 14 % de 2019 à 2020. Mais si l’on tient compte des données de 2018, que le Service a recueillies, mais n’a pas divulguées, la criminalité armée a diminué de 20 % sur une période de deux ans.

Ce portrait plus représentatif de la situation remet en question le discours dominant. Premièrement, rien ne démontre que Montréal est soudainement inondée d’armes à feu. Il est impossible de connaître le nombre précis d’armes à feu en circulation dans la ville, mais il est difficile de croire qu’il y en a plus qu’avant si la criminalité armée est restée stable entre 2018 et 2021.

D’ailleurs, le nombre d’armes à feu saisies chaque année est resté relativement stable (593 en 2018 contre 628 en 2021) en dépit des efforts croissants du SPVM pour combattre les crimes armés.

Deuxièmement, la situation est bien plus nuancée que ne le laisse entendre le discours ambiant. La plupart des catégories de crimes armés sont en baisse, et la criminalité armée globale est relativement stable. Nous pouvons reconnaître ces faits tout en traitant la hausse des homicides et des tentatives de meurtre impliquant des armes à feu avec le sérieux qu’elle mérite.

Par ailleurs, il faudrait reconnaître qu’il est plutôt rare que la violence à Montréal implique des gangs ou des armes à feu. En 2021, il y a eu deux fois plus de meurtres attribués aux conflits interpersonnels (y compris les féminicides) qu’aux gangs. Pour la même année, un peu moins de la moitié des homicides impliquaient une arme à feu. Un pourcentage encore plus faible des tentatives de meurtre en impliquait une, et du côté des agressions, la proportion était simplement minuscule (1,8 %).

Si nous voulons vraiment enrayer la violence, et éviter que se reproduisent des évènements comme ceux qui ont causé la mort de Gisèle Itale Betondi et de Viergemene Toussaint, il faut voir au-delà de la violence armée.

En somme, la violence a plusieurs visages et des causes multiples, et il faut mettre en œuvre un grand éventail de solutions pour la réduire. Dans la plupart des cas, ces solutions prennent la forme de programmes de prévention menés par des institutions et des organisations ne relevant pas de la police⁠2.

Malheureusement, ces nuances sont perdues quand les reportages se concentrent sur des formes de violence spécifiques et parce que le SPVM ne publie pas les données qui permettraient d’en prendre conscience.

1. Lisez « Montréal : une crise d’armes à feu, vraiment ? » 2. Lisez « Violence armée à Montréal : parlons aussi des effectifs non policiers » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion