Experts invités pour la durée de la campagne électorale, les professeurs Stéphanie Yates et Thierry Giasson se prononcent chaque samedi sur cinq des principaux thèmes de la semaine.

L’engagement de la semaine

L’éducation, cette grande absente

Après la pluie de promesses des deux premières semaines, l’éducation est un cactus qui manque d’eau. Les racines même du système sont attaquées devant le manque criant de personnel et les inégalités révoltantes entre les écoles publiques, privées et celles à vocation particulière. Dans la dure logique du marketing politique, on comprend que d’autres tranches de l’électorat passent devant des enfants qui n’ont pas le droit de vote. Mais les partis n’ont-ils pas la responsabilité de s’élever au-dessus de ces considérations stratégiques pour s’intéresser avec sérieux au système à la base de l’avenir de notre société ?

Stéphanie Yates, professeure au département de communication sociale et publique, UQAMP

Pas le parti de la comptabilité !

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Carlos Leitão, président de campagne et responsable du cadre financier du Parti libéral du Québec

Dominique Anglade répète sur toutes les tribunes que le PLQ est le parti de l’économie. Mais d’importantes erreurs de calcul dans son cadre financier et dans l’estimation de la consommation d’électricité nécessaire pour appliquer son plan Eco nous indique que le PLQ n’est pas le parti de la comptabilité ! Alors que la cheffe poursuivait sa préparation au débat, le parti a dépêché Carlos Leitão, l’ancien ministre des Finances et l’architecte du cadre financier du PLQ, pour corriger le tir. Il explique l’erreur par un manque de ressources au sein de l’équipe. L’impression d’improvisation est difficile à éviter. Faute avouée à moitié pardonnée ?

Thierry Giasson, professeur titulaire au département de science politique, Université Laval

Le moment mémorable

Un débat pénible mais utile

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon

Le premier débat des chefs a donné lieu à des échanges cacophoniques qui ont dû en décourager plusieurs de laisser le téléviseur allumé. Dans ces échanges serrés où Gabriel Nadeau-Dubois a régné en maître avec un sens de la clip inégalé, Paul St-Pierre Plamondon s’est aussi avantageusement démarqué du lot. Sa performance rappelle celle de Françoise David en 2012, alors qu’il a su expliquer clairement ses engagements tout en écoutant ses adversaires sans les interrompre inutilement, allant même jusqu’à féliciter Québec solidaire pour son plan en environnement. Cet appel à l’intelligence des électeurs, son émotion palpable lors des échanges portant sur la langue française et sa sincérité évidente pourraient ramener au bercail une part du vote souverainiste. Mission réussie pour le chef du PQ.

Stéphanie Yates

Empêtré dans ses finances personnelles

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime

Éric Duhaime menait une campagne sans trop d’anicroches, mais voilà que des révélations sur la gestion de ses finances personnelles sont venues plomber sa tournée. Toute la semaine, il a dû répondre aux questions des médias et aux commentaires de ses adversaires sur ses défauts de paiements. Il s’est empêtré dans ses explications et s’est ensuite posé en victime de l’élite médiatique qui chercherait à couler sa campagne (ce qui est peu convaincant pour l’homme de médias qu’il est). La casserole l’a suivi jusqu’au débat jeudi soir lorsque Pierre Bruneau lui a demandé du tac au tac si ses finances personnelles sont indicatives de la manière dont il gérera l’économie une fois au pouvoir. Malaise.

Thierry Giasson

Le leader en action

Perte de contrôle d’Éric Duhaime

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La campagne du chef du Parti conservateur du Québec a complètement déraillé en raison des révélations sur ses comptes de taxes impayés, souligne Stéphanie Yates.

Mauvaise semaine pour Éric Duhaime, dont la campagne a complètement déraillé en raison des révélations sur ses comptes de taxes impayés. On peut penser que la base électorale du chef conservateur sera prompte à lui pardonner, mais l’accumulation des retards de paiements finira vraisemblablement par agacer : factures d’Hydro-Québec, taxes municipales, taxes scolaires, facture de plomberie… On en vient à penser que le chef du Parti conservateur se place au-dessus des lois, une posture gênante pour une personne qui se dit proche de messieurs et madame Tout-le-Monde. Qu’on aime ou non la société d’État, on paie notre facture d’Hydro… Plus largement, cet épisode remet en question la légitimité morale de celui qui aspire à devenir premier ministre.

Stéphanie Yates

François Legault brouillon et exaspéré

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault répond aux questions des journalistes à la suite du débat des chefs.

Le premier débat réunissant les cinq chefs s’est déroulé jeudi soir sur les ondes de TVA. Les quatre chefs de l’opposition, dont c’était le baptême à ce genre d’activité à haut risque, ont livré des performances solides. Gabriel Nadeau-Dubois, sincère, ne s’est pas esquivé face aux critiques de ses positions en les expliquant clairement, Dominique Anglade s’est imposée avec conviction et émotion sur la question de l’intégration des immigrants et sur l’éducation, Paul St-Pierre Plamondon a habilement rappelé au premier ministre que sa vision de la mobilité durable date d’un autre siècle et Éric Duhaime a déstabilisé M. Legault sur les études liées au projet du troisième lien. Par contraste, le chef du gouvernement, la cible du débat, a souvent paru dépassé, brouillon, exaspéré et mal préparé. Il lui faudra impérativement corriger le tir pour le débat de la semaine prochaine.

Thierry Giasson

L’étoile montante / filante

Les candidat.es autochtones

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE FRANÇOIS LEGAULT

Kateri Champagne Jourdain, candidate de la Coalition avenir Québec (CAQ) dans Duplessis, sur la Côte-Nord.

Il est réjouissant, en cette campagne, que neuf candidats et les candidates autochtones soient sur les rangs, cela dans des circonscriptions où certains ont une véritable chance d’être élus. On comprend que prendre une part active aux élections demeure une question délicate pour ces communautés, pour qui participer implique de légitimer le système colonial qu’ils dénoncent par ailleurs. Il n’en demeure pas moins qu’avoir des voix autochtones fortes au sein même de nos institutions apparaît nécessaire pour que soient enfin mis au programme des enjeux trop longtemps occultés. Pensons, au premier chef, aux conditions de vie et de santé révoltantes qui perdurent dans certaines communautés.

Stéphanie Yates

Si Mme Fiola avait été un homme, en aurait-on même parlé ?

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Andréanne Fiola, candidate péquiste dans Laval-des-Rapides

La candidate péquiste du PQ dans Laval-des-Rapide, Andréanne Fiola, a fait l’objet d’un reportage douteux du Courrier Laval sur sa participation passée à une vidéo porno. Le reportage rapportait les propos dénigrants de Michel Trottier, le candidat libéral de Sainte-Rose avec qui Mme Fiola avait aussi fait campagne aux municipales, envers la candidate péquiste. S’il avait su, il ne l’aurait pas recrutée dans son équipe. Voilà un bel exemple de « slut shaming » visant à ridiculiser et stigmatiser Mme Fiola. Cela est difficilement compréhensible en 2022. Andréanne Fiola a gardé une contenance impressionnante et une dignité forte face aux révélations. Son chef Paul St-Pierre Plamondon l’a brillamment soutenue en indiquant les limites de l’hypocrisie liée à ce reportage. En effet, qui n’a pas consommé de pornographie en 2022 ? Mais surtout, si Mme Fiola avait été un homme, en aurait-on même parlé ?

Thierry Giasson

L’image qui vaut 1000 mots

Les gants de boxe de Dominique Anglade

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Dominique Anglade, lors d’un bain de foule à l’occasion d’une fête de quartier, à Laval, le 11 septembre

La cheffe du Parti libéral du Québec a enfilé ses gants de boxe cette semaine pour nous convaincre qu’elle continuait de mener une campagne offensive, malgré les sondages défavorables. Or, elle risque d’être rapidement repoussée dans les câbles devant les luttes serrées qui ont cours dans plusieurs circonscriptions traditionnellement libérales. Les quelques votes que tente de gruger le Bloc Montréal de Balarama Holness pourraient faire mal, tout comme ceux que le PLQ pourrait perdre au profit du Parti conservateur du Québec, qui courtise ouvertement l’électorat anglophone de droite, comme en témoigne notamment son passage à Laval cette semaine.

Stéphanie Yates

La fonte rapide des glaciers du Groenland

PHOTO ODD ANDERSEN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La fonte de la glace au Groenland est aujourd’hui la principale responsable de la montée des océans et les glaciers de ce territoire de la Couronne danoise reculent désormais six à sept fois plus rapidement qu’il y a 25 ans, selon une récente étude de la NASA.

La revue Science publie une recherche sur le réchauffement accéléré de la température moyenne du globe et les 16 points de bascule qui nous attendent. Cinq d’entre eux sont déjà enclenchés, dont la fonte rapide des glaciers du Groenland. La situation a déjà des ramifications économiques et sociales chez nous. Les maires des grandes villes du Québec ont d’ailleurs demandé au gouvernement 2 milliards de dollars d’aide afin de stabiliser leurs infrastructures pour réagir à ces impacts. François Legault a rejeté leur demande. En ce sens, les chefs du PQ et de QS avaient raison de nous rappeler lors du débat de jeudi soir l’importance d’agir dans la lutte contre les changements climatiques.

Thierry Giasson

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