Je rédige ce texte dans l’espoir qu’il soit lu par des parents de jeunes de moins de 20 ans, que je considère comme les architectes de notre avenir. Nos jeunes, surtout nos jeunes garçons, ont besoin de vous. Notre société a besoin de vous. Nous sommes devant l’apparition d’un nouveau pathogène idéologique qui s’en prend plus particulièrement aux esprits des jeunes hommes.

Dans la dernière année, j’ai été confronté à des propos émanant de jeunes hommes dans mon entourage. À la fois directement et indirectement, des propos empreints d’intolérance de toutes sortes ont contribué à déconstruire l’impression que j’avais de vivre dans une société où les jeunes sont plus tolérants et inclusifs qu’il y a une vingtaine d’années. Récemment, c’est Andrew Tate (voir le dossier dans La Presse du 26 juin dernier) 1, s’identifiant comme « Alpha » et proférant des propos misogynes et méprisants, qui m’inspire à écrire ces lignes.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D’ANDREW TATE

Andrew Tate

Contrairement aux autres variants aux noms tirés de l’alphabet grec que nous avons connus dans la dernière année, le confinement ne va pas empêcher sa propagation. Au contraire, un tel isolement va plutôt amplifier sa circulation puisqu’il naît de la solitude. En effet, sans vouloir nécessairement généraliser, plusieurs jeunes hommes vivent de l’abandon social et vont chercher à calmer cette souffrance dans des communautés virtuelles, certaines peu recommandables.

Laissés à eux-mêmes, ils peuvent se faire contaminer l’esprit par des idées diffusées sur les réseaux sociaux et en devenir ensuite des vecteurs de contagion en les répétant à leur tour ou en prenant la défense de leurs auteurs.

Les idées malsaines ont toujours voyagé, certes, sauf qu’aujourd’hui, la ligne semble plus directe entre l’émetteur charismatique et le récepteur influençable. À l’ère où la plupart des instances de notre société travaillent à fabriquer un tissu social solide avec l’inclusion comme outil principal, ces groupes s’affairent à le détricoter par l’autre bout en tirant sur ses mailles à coup d’intolérance.

Le concept même de la « manosphère » va à l’encontre de l’inclusion, et ce contre ceux qui s’y enferment. Ces « incels » (involuntary celibacy), qui souffraient de ce célibat involontaire, font maintenant le choix délibéré de s’isoler davantage dans cette sphère avec leurs frustrations et leurs complexes. Contrairement aux autres minorités, ce sont eux-mêmes qui s’excluent de la société et cela aura sans aucun doute comme effet d’alimenter les sentiments à l’origine de cette auto-exclusion. La spirale amorcée lorsqu’on entre dans cet univers peut s’apparenter dangereusement à ce que vivent les jeunes qui se radicalisent dans le djihad ou chez les néonazis : une chambre d’écho de plus en plus étanche et qui fait résonner ces messages de haine jusqu’à leur donner une apparence de vérité pouvant ensuite façonner des dogmes. Les actes qui peuvent en découler n’ont absolument rien de souhaitable…

Je ne me berce pas d’illusions en croyant qu’un jeune émule de Tate lise les présentes lignes et vive une épiphanie qui le mènerait à renier les idées patriarcales de son nouveau mentor virtuel.

Je souhaite cependant rejoindre des gens de son entourage qui, comme pour n’importe quelle forme de radicalisation, pourraient désamorcer ce processus avant qu’il ne fasse du tort. Vous êtes le vaccin, les messagers qui pourraient faire la différence.

Même si votre enfant, ado ou jeune adulte, semble immunisé, je vous implore d’avoir ces conversations, comme on vaccine tout le monde de façon préventive pour le bien de l’ensemble de la société. En effet, la nature ayant horreur du vide, si les parents ne comblent pas les espaces réservés à la relation que nos jeunes ont avec les femmes et les minorités, il se peut qu’un influenceur aux propos haineux et dangereux le fasse à leur place.

Bien qu’elles soient inconfortables et difficiles à amorcer, ces conversations doivent avoir lieu, comme plusieurs autres d’ailleurs. Être parent, c’est plus que nourrir, vêtir et loger. Il faut aussi guider, ne pas avoir peur d’ouvrir ces boîtes à surprises que peuvent être les esprits de nos enfants pour s’assurer que leurs valeurs soient en voie de croître de manière à être bénéfiques pour lui-même, pour ses proches et pour l’ensemble de la société.

Je ne suis pas sociologue et ne cherche pas à trouver les causes et les coupables pour ces phénomènes d’intolérance. J’espère aussi que le nouveau cours de Citoyenneté québécoise, proposé pour remplacer celui d’Éthique et culture religieuse, aura des composantes pour contrer ce menaçant recul dans l’évolution vers l’inclusion. Cependant, je suis convaincu qu’il n’y a personne de mieux placé que les parents pour faire d’un garçon un homme. Je ne parle évidemment pas ici de la représentation archaïque, fragile, misogyne et superficielle que des gens comme Andrew Tate font des vrais hommes, mais bien d’hommes sensibles, ouverts et tolérants qui n’ont pas besoin de dominer qui que ce soit pour se sentir à leur place dans la société.

1. Lisez le dossier de Léa Carrier et Frédérik-Xavier Duhamel Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion